Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/793

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire, à celui du litterator et à celui du grammaticus. On peut l’appliquer aussi à l’enseignement des beaux-arts. Il ne faut pas nous laisser abuser par les jugemens sévères arrachés à quelques moralistes par la vue des femmes instruites dans la danse et la musique. La question de sexe n’a rien à voir ici. Scipion Emilien, dans un de ses discours, s’indigne que les jeunes filles de famille noble aillent dans des écoles de danse, parmi des baladins, et y apprennent ce qu’il appelle « des arts malhonnêtes : » mais il en dit autant des jeunes gens, et sa description même prouve que, là comme chez le maître d’école, la communauté d’éducation était complète. Un siècle plus tard, Salluste reproche à Sempronia, la complice de Catilina, de savoir mieux danser qu’il ne sied à une honnête femme : mais, exactement à la même date, les adversaires du consul Murena lui adressaient une pareille accusation. L’enseignement de la « musique » (en prenant le mot au sens large, et en y comprenant à la fois le chant et la danse) était donc jugé de la même manière, qu’il s’agit de l’un ou de l’autre sexe : les uns le blâmaient, les autres le toléraient, mais ceux qui le blâmaient chez les filles ne le toléraient pas davantage chez les garçons. Du reste, ce fut bientôt le parti le moins sévère qui l’emporta. N’invoquons pas ici, comme le font beaucoup d’historiens des mœurs romaines, le témoignage d’Ovide : car l’éducation dont il trace dans l’Art d’aimer le programme charmant et frivole est destinée probablement à former des courtisanes plutôt que des femmes du monde. Mais des exemples moins équivoques, celui de Cornélie, la femme de Pompée, ceux de la fille de Stace et de la femme de Pline le Jeune, nous attestent que la culture artistique était reçue par les jeunes filles aussi complètement que par les jeunes gens.

En était-il de même pour la culture philosophique ? Ici les conditions ne sont plus tout à fait semblables. A l’âge où l’esprit peut utilement être initié aux spéculations métaphysiques ou morales, les Romaines étaient presque toujours mariées : leur éducation proprement dite était finie, et les lectures qu’elles pouvaient faire variaient beaucoup, selon qu’elles étaient plus ou moins soumises à leurs époux, et aussi selon que ceux-ci étaient d’intelligence plus ou moins ouverte. Nous en connaissons un qui contrôla et-restreignit jalousement les études de sa femme : c’est le père de Sénèque. Il ne lui permit, nous dit son