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puissance tutoriale. Or il ne lui était pas malaisé de trouver un homme complaisant qui consentit à lui servir de mari fictif ou nominal, juste le temps de la soustraire au contrôle des tuteurs, et à la céder ensuite à un autre personnage qui, à son tour, l’affranchissait. Sa liberté de gestion financière était donc achetée au prix de procédés un peu compliqués, mais d’un effet sûr. Bientôt même elle n’eut plus besoin de recourir à ce stratagème. Sous Auguste, la femme qui avait été mère de plusieurs enfans fut affranchie de la tutelle, et, sous Théodose, ce privilège fut étendu à tout le sexe. C’est tardivement, il est vrai, à la veille de la chute de l’empire, que cette réforme fut opérée ; mais comme il arrive souvent, elle s’était faite dans les mœurs bien avant de s’inscrire dans les lois. Quand parut le code Théodosien, il y avait longtemps que l’autorité des tuteurs familiaux n’était plus qu’un nom, et que veuves et orphelines pouvaient faire de leurs biens ce qu’elles voulaient.

Quant aux femmes mariées, elles avaient atteint la même indépendance de la façon la plus simple, à l’aide de la dot. Ici encore, elles avaient su utiliser à leur profit une arme qui n’avait point été forgée pour elles. Lorsqu’en prévision d’un divorce possible, on prit l’habitude de faire promettre au mari la restitution des biens apportés par l’épouse, lorsqu’on en vint plus tard à sous-entendre cette clause, si bien qu’elle fût implicitement contenue dans tous les contrats, on n’avait pas pour but de sauvegarder les intérêts féminins : non, les biens dotaux ayant été fournis par la famille de la jeune femme, il fallait en assurer le retour à cette famille ; c’est par le père (ou par le plus proche parent) que l’action dotale était exercée, et c’est pour lui qu’elle était établie. Mais, qu’elle fut ou non au profit de la femme, cette action dotale avait toujours pour résultat d’appauvrir le mari : l’hypothèse d’un divorce était donc suspendue sur sa tête comme une menace effrayante et perpétuelle, et une femme habile à jouer de cette menace pouvait obtenir tout ce que bon lui semblait, y compris l’administration d’une partie de sa fortune. Le mari, ce mari tremblant que nous dépeignent les comédies de Plaute, ce mari « qui a vendu son pouvoir contre une dot, » aime encore mieux laisser sa femme diriger, — ou même gaspiller, — la moitié de ses biens, que d’être condamné à restituer le tout. C’est par cette espèce de chantage sans cesse renouvelé que les matrones romaines ont fini par se constituer