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patrimoine ne lui appartient pas, mais plutôt à la famille, à la gens dont elle est née. Elle ne le reçoit qu’afin de le transmettre. Dans la chaîne des héritiers successifs, elle est un anneau indispensable, mais un anneau qui n’a de raison d’être que par la place qu’il occupe et le lien qui l’unit aux autres. Enfin, si le mariage émancipe la femme de la sujétion financière où la tenait sa gens originelle, il l’expose du même coup à une nouvelle servitude non moins lourde. Dans le mariage par confarreatio, le plus ancien de tous et le seul qui primitivement ait existé, le mari devient le libre administrateur des biens de sa femme ; ils tombent « dans sa main, » comme dit le code ; ou, si l’on préfère les termes de Cicéron, « tout ce qui était à elle est désormais à lui. » Si peut-être il en est en certains cas responsable, — car la question est obscure, — s’il est tenu à restitution lorsqu’il divorce, c’est envers son beau-père, non envers sa femme. Celle-ci, en vérité, n’a aucune part aux tractations financières auxquelles son hymen donne lieu : elle n’en est que le prétexte. Ainsi, qu’elle soit fille, orpheline, ou femme mariée, sous la puissance paternelle, la tutelle de la famille, ou la manus conjugale, elle est dépourvue également de tout rôle actif dans la gestion de sa fortune ; elle y assiste sans y participer. Comme le dément ou l’incapable, dont les textes législatifs la rapprochent souvent, elle est toujours une mineure.

Voilà la situation de la femme, au point de vue financier, dans les temps les plus anciens, telle que nous la font connaître les souvenirs archaïques conservés dans la législation postérieure. Mais sa subordination économique, de même que sa subordination personnelle, s’est modifiée par une lente évolution et sous l’influence de causes multiples. Il est probable que, lorsque les mœurs commencèrent à s’adoucir, ceux mêmes au profit desquels la fortune de la femme était grevée de si lourdes obligations, se relâchèrent, par une renonciation bénévole, de l’extrême rigueur de leurs droits. Dans la famille naturelle, comme dans la seconde famille où le mariage la faisait entrer, la femme put bénéficier de concessions pour lesquelles l’affection faisait fléchir la loi. Par exemple, il vint un moment où les pères eurent la faculté de désigner par testament les tuteurs de leurs filles : ils en profitèrent souvent pour choisir des tuteurs bienveillans, complaisans même, dont le large et affectueux libéralisme ne ressemblait point du tout à la surveillance