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non celle d’un sexe. Quant aux personnes de naissance libre, rien n’autorise à penser que les lois Juliennes aient fait entre l’époux et l’épouse la moindre distinction. L’un comme l’autre peut provoquer la dissolution du mariage ; l’un comme l’autre, pour y arriver, est obligé de se conformer à une certaine procédure ; l’un comme l’autre, si le divorce est prononcé contre lui, est exposé à certaines pénalités pécuniaires. Par les permissions qu’elle octroie comme par les sanctions qu’elle édicte, cette législation tient la balance en parfait équilibre entre les deux sexes. Elle ne ressemble pas du tout au code archaïque, où nous avons observé une disproportion si flagrante. Elle restreint la liberté de la femme, mais dans la même mesure que celle de l’homme, et pour les mêmes motifs, — des motifs d’utilité sociale et civique, — et ainsi elle se trouve consacrer leur égalité.

Ce que nous venons de dire de la réforme légale essayée par Auguste n’est pas moins vrai de la réforme morale opérée par le stoïcisme. Les stoïciens, eux aussi, ont tâché de remettre en honneur les mœurs d’autrefois : ils se sont fait, du mariage et du rôle de la femme, une conception très austère et très stricte. Mais les obligations qu’ils prescrivent à la femme se rattachent à une doctrine qui est, en son fond, la même pour les deux sexes ; elles ne proviennent point d’une prétendue infériorité. La matrone stoïcienne obéit à sa conscience, non à une contrainte juridique : le principe de sa vie morale est en elle. C’est pour réaliser, dans sa sphère, l’idéal rationnel de dignité humaine, qu’elle s’acquitte de ses devoirs d’épouse. On ne peut pas dire qu’elle soit soumise à son mari, mais plutôt qu’elle se soumet comme lui et avec lui à la loi de l’honneur. L’union conjugale telle que se la représentent les stoïciens, telle qu’elle apparaît par exemple dans les beaux vers de Lucain sur Caton et Marcia, est aussi forte que celle qui était en usage dans la famille primitive, mais elle en diffère totalement par son esprit. C’est comme l’amitié fraternelle de deux sages de sexe différent, qui communient dans une même foi philosophique, tout en gardant chacun sa personnalité. L’association volontaire est sa règle essentielle, et non plus la sujétion imposée.

Ainsi, de quelque côté que nous l’envisagions, la société de l’empire nous montre les femmes tout à fait émancipées des contraintes que les lois et l’opinion faisaient peser sur elles