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Bien coupé, mais il fallait recoudre, et ce n’était pas facile. Qui succéderait à Saïd pacha ? Qui serait grand vizir ? La question s’adressait au Sultan. Ce modèle de souverain constitutionnel a fait appeler en consultation les présidens des deux Chambres : d’après ce que nous avons dit de celle des députés, on peut juger de l’autorité de ses conseils. Le choix de Mahomet V s’est porté d’abord sur Tewfik pacha, ambassadeur de Turquie à Londres, qui, absent de Turquie depuis trois ans, n’avait pas été mêlé aux intrigues des partis. Au premier moment, le choix a paru bon ; il a été bien accueilli par l’opinion européenne ; dans une proclamation qu’il a adressée à l’armée, le Sultan l’a présenté comme définitif, et tout le monde a remarqué, dans le document impérial, la phrase suivante qui a paru significative : « Je désire et je juge nécessaire que le nouveau Cabinet soit composé de personnalités ayant une large expérience des affaires de l’État et ayant des opinions indépendantes, affranchies de toute influence. » On a dit que cette proclamation était la condamnation définitive du Comité Union et Progrès. En effet, les anciens ministres et le dernier en particulier étaient loin d’avoir des opinions indépendantes : ils avaient celles du Comité. Ils étaient loin d’être affranchis des influences : il& subissaient docilement celles du Comité. Tewfik pacha allait-il être vraiment libre de suivre une politique personnelle ? On l’a cru un moment, mais, ce moment a été court. Tewfik a posé ses conditions, qui n’ont pas été acceptées. La première était, parait-il, la dissolution de la Chambre et la seconde celle des Comités, ce qui n’était pas trop mal vu. La dissolution de la Chambre s’imposera fatalement à prochaine échéance et il aurait mieux valu commencer par où on sera obligé de finir. Il reste quelque chose de mystérieux dans la manière dont Tewfik, après avoir été mis en avant, a été éliminé. Ce premier tâtonnement, cette première hésitation du Sultan montrent que, tout en rompant avec le Comité, il a voulu encore le ménager. Il a appelé au grand-vizirat Ghazi Mouktar pacha. Mouklar le victorieux est le général le plus glorieux de l’Empire, dont il a soutenu il y a trente-cinq ans, en Asie Mineure, lors de la guerre contre la Russie, les intérêts et l’honneur par des manœuvres qui lui ont valu l’admiration de tous les gens du métier. Mais en politique Mouktar est un neutre. Il a confié le ministère de la Guerre à Nazim pacha, choix excellent, a-t-on dit tout de suite, mais Nazim s’est empressé de déclarer aux Jeunes-Turcs qu’il n’était d’aucun parti, d’aucun comité et qu’il ferait strictement son devoir de ministre de la Guerre. La présence de Hussein Hilmi pacha à la Justice a paru être