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votée et on sait pourquoi : il n’a pas osé renverser M. Clemenceau. On serait surpris qu’après avoir voté une loi néfaste pour conserver M. Clemenceau, pour en repousser une excellente il renversât M. Poincaré. Si le rachat de l’Ouest n’avait pas été voté, nos finances ne s’en porteraient que mieux ; mais, si la réforme électorale venait s’enlizer au Sénat, nous entrerions dans une ère de conflits dont les accidens seraient très graves et le terme très incertain. Le Sénat est trop sage pour s’exposer à de tels hasards.

Et ce n’est pas le manifeste de M. Clemenceau qui pourrait l’y engager. Il débute ainsi : « Les ennemis de nos institutions — réactionnaires et révolutionnaires refusant le budget — se coalisent au grand jour dans une entreprise de prétendue réforme électorale qui n’est rien moins qu’un attentat contre le suffrage universel. » On voit le ton ; il se poursuit longtemps ainsi. L’Apocalypse n’a pas plus d’anathèmes ! Cherchant dans le passé des analogies à ce qui se fait aujourd’hui, à ce qu’on menace de faire demain, M. Clemenceau passe en revue l’aventure boulangiste, les entreprises de M. de Broglie dont la réforme électorale sera la revanche, les entreprises bien plus redoutables encore de l’Église qui, elle aussi, cherche à réparer ses défaites et en trouvera, paraît-il, le moyen dans la représentation proportionnelle, et il accuse enfin le gouvernement d’accepter les pires ennemis de la République pour collaborateurs. Que tout cela est vieux, nous allions dire rance ! Laissons s’écouler ce flot tumultueux et bourbeux pour en venir à des choses plus sérieuses. Quel est donc l’objet de cette loi ? Est-ce seulement d’assurer au pays une représentation plus ressemblante ? Quand même elle n’aurait pas d’autre but, la loi porterait en elle-même sa justification.

Si notre système électoral actuel doit être condamné et remplacé, ce n’est pas tant parce qu’il donne du pays une représentation fausse que parce qu’il corrompt nos mœurs publiques. Ici nous cédons volontiers la parole à M. Clemenceau. « M. le président du Conseil, dit-il, s’est expliqué sur ce point devant la Chambre. La raison supérieure qui le fait passer outre aux objections les plus redoutables, c’est la nécessité, urgente paraît-il, primant toute autre considération d’intérêt public, de mettre l’élu à l’abri des influences locales. Il a découvert que l’ingérence quotidienne des parlementaires dans toutes les questions administratives rendait difficile au ministre de défendre son impartialité. Les faveurs fatalement se glissent çà et là et les mécontentemens risquent de se multiplier. Le mal assurément n’est pas imaginaire, car il s’étale publiquement aux yeux de tous comme la