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Peut-être leur opposition irréconciliable rendra-t-elle l’avenir du Cabinet plus incertain : mais, quoi qu’il arrive, M. Poincaré aura fait un grand acte ; il ne se sera pas traîné dans l’ornière accoutumée ; la physionomie de son ministère tranchera sur celle de la plupart de ses prédécesseurs ; il sera une date dans l’histoire de la République.

Date néfaste ! crie M. Clemenceau et quand M. Clemenceau crie, il le fait très fort. Il a crié cette fois plus fort encore que d’habitude, tant il est convaincu, à l’inverse de M. Poincaré, que la réforme électorale, au lieu d’être un bien, est un mal et même le souverain mal. M. Clemenceau est sénateur : on doit donc s’attendre à ce que la discussion qui vient de finir, au moins momentanément, au Palais-Bourbon, soit reprise au Luxembourg, faut-il dire avec d’autres armes ? non sans doute, car on n’en inventera pas de nouvelles ; mais avec d’autres combattans qui les brandiront différemment. Rien qu’à la pensée de cette lutte prochaine, M. Clemenceau a senti en lui comme un regain de jeunesse et, la tribune n’étant pas encore ouverte, il a pris sa plume de publiciste, sa plume de combat, pour écrire à l’adresse de « tous les républicains » un morceau qu’il est permis de trouver trop verbeux. La bataille n’est donc pas finie, ou plutôt elle va recommencer, et c’est un spectacle piquant de voir les radicaux et les radicaux-socialistes, qui n’ont pas l’habitude d’exalter le Sénat, mettre en lui leurs dernières espérances. Faites donner la garde, la vieille garde ! disent-ils. Nous croyons que, dans le cas actuel, le Sénat leur causera une déception. En vain M. Clemenceau a-t-il lié partie avec M. Combes : ces deux grands débris ne formeront pas, pour la défense du scrutin d’arrondissement, un rempart bien solide ; en vain ont-ils formé un comité qui s’est intitulé hardiment « comité de défense du suffrage universel ; » en vain ont-ils annoncé qu’ils allaient commencer, dans la France entière, une campagne de propagande extrêmement active ; en vain M. Clemenceau a-t-il rédigé, pour servir de programme à cette campagne, le manifeste touffu, décousu et violent dont nous avons, déjà dit un mot ; il y a tout lieu de croire que tant d’efforts seront dépensés en pure perte. Le Sénat tiendra certainement compte de la volonté de la Chambre et de celle du pays et si le gouvernement, comme nous n’en doutons pas, continue de montrer la même fermeté, le résultat n’est pas douteux. Mais, dit-on, le Sénat, au fond de l’âme, est hostile à la réforme ! C’est bien possible. Cependant, que M. Clemenceau fasse appel à ses souvenirs. Le Sénat n’a jamais été plus hostile à une loi quelconque qu’il ne l’a été à celle du rachat du chemin de fer de l’Ouest. Il ne l’en a pas moins