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Mentschikoff. Qui cela pourrait-il être, sinon elle ? Tu lui écris donc ? Et tu m’en fais mystère ! Que dois-je conclure de cela ? Ou que j’ai perdu ton amour, ou bien ta confiance. L’un ou l’autre, et l’un comme l’autre me serait également pénible. La certitude de cela que j’avais devant les yeux m’a déchiré le cœur.

« Ah ! Pojke, est-ce ainsi qu’on devrait agir avec une amie ? Supposé qu’il n’y eût entre la princesse Mentschikoff et toi qu’une liaison d’amitié, rien n’était plus simple que de m’en parler. Mais le soin que tu mets de taire son nom dans tout ce que tu me dis des femmes qui t’intéressent me paraît plus qu’équivoque.

« Ceci n’est pas une histoire que tes ennemis ont forgée ; ce n’est pas une fable au sujet de laquelle ma jalousie me rend incrédule et injuste. C’est toi-même qui, non content de trahir ma confiante amitié, te charges de déchirer le bandeau de l’illusion que mon amour conservait jalousement, même lorsque tout le monde se plaisait à me dénoncer ton inconstance. Mon cœur, qui continuait bénévolement à l’adorer, prenait ta défense contre ma tête, qui cherchait en vain à démêler ce qu’il pouvait y avoir d’intérêt à faire dire ces choses à ceux qui me les répétaient. Je te renvoie ce malheureux brouillon, qui est devenu pour moi une source de chagrin ; tu jugeras si j’ai tort de me plaindre et si je puis me tromper quant à la personne à qui cette lettre était adressée. Ah ! Pojke, si j’avais agi ainsi avec toi, de quels amers reproches ne m’aurais-tu pas accablée ! »

Quelle que soit la vivacité de ces reproches, il n’apparaît pas que Madeleine ait tenu rigueur à son amant du mystère qu’il lui avait fait de ses relations avec la princesse. Dans les lettres postérieures, elle ne lui en parle plus. Il faut en conclure ou qu’elle n’en soupçonnait pas le véritable caractère, ou qu’à la condition de n’être pas abandonnée, elle se résignait à être trompée ou même jugeait bon de n’en pas acquérir la certitude. À lire ce qui suit, on ne se douterait pas qu’elle est dévorée de jalousie.

Drottningholm, 9 août. — « Tu seras étonné, mon cher ami, de trouver ma lettre datée de cet endroit. Hélas ! j’y suis, à mon grand regret, mais seulement pour huit jours. Ne pouvant aller en Ostrogothie qu’à la fin de la semaine prochaine, j’ai craint, en restant tout ce temps en ville, que le Roi ne le prît en mauvaise part, ce que je lui ai dit en arrivant hier ici. Il a paru en être content, d’autant plus que sa société n’est composée