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entrevoir à cette heure ?… Ah ! mon Dieu ! si mes yeux pouvaient te fixer encore une fois. Je crois que je voudrais me tuer à ce moment, pour ne pas survivre à une nouvelle séparation.

« Dieu ! comme je t’aime ; avec quelle impétuosité l’amour s’accapare de tous mes sens ! Puis-je jamais trahir un cœur qui ne respire que par toi (sic) ! Pourrais-tu me reprendre le tien ! Mais je le connais, ton cœur, je sais en apprécier tous les battemens. Il me rassure contre toutes les alarmes du mien. Tu m’aimeras toute ta vie ; un lien sacré ne saurait se rompre. Si tu oublies les instans de bonheur que nous avons eus, jamais ceux que nous avons arrosés de nos larmes ne pourront s’effacer de ta pensée, j’en suis bien sûre. »

18 juillet. — « Oui, mon ange, j’accepte ton rendez-vous. A la mort de ma mère, rien ne m’arrêtera d’aller recevoir de toi un enfant qui rendra la chaîne qui nous lie doublement sacrée… Je crois qu’avec un sentiment aussi profond, l’âge même ne pourra le glacer.

«… Quoi qu’il arrive, je partagerai ton sort. Connais-moi donc une fois et crois bien que mon cœur ne demande au ciel que le bonheur de te prouver tout son dévouement et d’autre félicité que de vivre et de mourir à tes côtés. »

Au moment où Mlle de Rudenschold poussait ce cri qui nous donne la mesure de sa passion et des espoirs que, malgré tout, elle conservait, elle était à la campagne. Il était une réponse à des lettres d’Armfeldt, réconfortantes et rassurantes tant elles trahissaient un indestructible amour. Après de cruelles épreuves, l’amante qui avait craint d’être trahie et délaissée, se livrait tout entière au bonheur de se savoir toujours aimée. Mais il était écrit que le volage, auquel elle s’était donnée, ne la laisserait jamais en repos et serait incessamment pour elle, sous les formes les plus inattendues, un artisan de malheurs et une cause de larmes. Nous en trouvons une preuve nouvelle dans la lettre suivante, écrite le 6 août, de Stockholm, où elle était revenue pour quelques jours, avant de partir pour l’Ostrogothie.

« En arrivant à Adon samedi, où j’ai trouvé Essen, j’ai reçu de lui la brebis égarée, la lettre du 29 juin qui m’eût causé un bonheur infini par tout ce qu’elle renferme de tendre et de consolant, si, par une cruelle ironie et par suite d’une distraction de ta part, tu ne l’avais enveloppée du brouillon d’une lettre adressée à une princesse, apparemment la princesse