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« Ce que tu me dis du Roi me surprend après ce que j’ai moi-même éprouvé et ce que Gyldenstolpe m’a dit il y a quinze jours. Dieu veuille que ce qui t’a fait si grand plaisir ! soit l’effet d’un heureux changement en lui ; cela me rendrait l’espoir que je commençais à perdre de ce côté. Je pense que celle où jeté faisais part de l’issue de ma démarche auprès de lui ne t’est pas parvenue, cher ami. J’attends tes ordres pour la renouveler…

« Au dernier souper du Roi, j’étais triste et embarrassée. Ayant l’envie de pleurer, je pris le parti de me mettre au jeu de cartes. Désœuvré de son côté, le Duc vint s’asseoir à côté de moi. Je gagnais considérablement lorsqu’il me dit avec un air plein de sous-entendus :

« — Avouez que je vous porte bonheur.

« — Je vous jure, dis-je avec vivacité, que ce n’est qu’au boston.

« Les larmes qui m’assaillirent garantissaient la vérité de ce que je disais. Il devint rouge de colère et me quitta sur-le-champ… »

29 mars. — « La dernière poste ne m’a apporté aucune nouvelle de toi, mon cher ange. J’en conclus donc que, conformément à tes projets, tu étais en route pour Rome le 4 mars, et qu’ainsi, ce ne sera que de cette capitale du monde que je recevrai un petit mot de l’ami de mon cœur. J’espère qu’il sera un peu remis des fatigues du voyage et des ennuis de faire la cour à ma chère Abbesse et à causer avec toutes les laideronnes de sa suite. Je supplie mon bästa pojken de ne pas se laisser mettre sur la liste de leurs conquêtes…

« Le Duc doit être très embarrassé avec la démarche précipitée de Staël qui avait ordre d’attendre à Hambourg que la campagne se décide, et si cela était en faveur des Français, alors seulement il devait suivre ses instructions de se rendre à Paris. Cet ordre pusillanime n’a guère réussi. Quand il a vu Breda pris, sur de la victoire, il vola à Paris. Mais à peine y était-il arrivé que les Français sont partout battus et le Régent embourbé dans une vilaine affaire. Je me flatte de le voir forcé par leurs défaites à se rétracter. Cette double honte sera un triomphe de plus pour nous. Il se réserve le sort d’être en abomination chez toutes les nations. Aussi, à l’arrivée du dernier courrier, il était de si mauvaise humeur que, malgré toute sa fausseté, il ne fut pas maître de la cacher, malgré que Stackelberg fût présent. »