Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/672

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui pourra s’affaiblir mais qui ne disparaîtra jamais, lui attribue trop libéralement. Aussi la loi l’arme-t-elle contre son seigneur et maître, et en même temps contre elle-même. D’autre part, la situation que lui fait son mari, pour le cas où elle lui survivra, prouve qu’elle avait dans le cœur de celui-ci, dans l’estime et l’affection qu’elle a su lui inspirer, de quoi se rassurer contre les dangers qui ont provoqué la sollicitude du législateur. Héritière universelle en pleine propriété ou en usufruit du patrimoine laissé par l’époux prédécédé, héritière de l’autorité paternelle, elle devient l’âme et le chef de ces co-propriétés, de ces indivisions familiales qui sont plus communes qu’on ne croit. C’est d’après cette situation de beaucoup de veuves qu’il faut juger celle de la femme mariée durant l’union conjugale. La façon dont elle en a rempli les devoirs se trouve attestée ainsi dans un acte suprême et solennel par le témoin le plus autorisé en même temps que le plus cher.

En la mettant à la tête du gouvernement intérieur de la famille, en montrant dans cette demi-incapable de la loi la collaboratrice et l’héritière du mari, nous n’oublions pas les objections que l’enquête même qu’on vient de lire peut fournir contre l’image que nous voudrions faire prévaloir. Par le soin avec lequel nous avons relevé les cas particuliers qui prouveraient, s’il en était besoin, que la destinée des époux ne se conformait pas toujours à ce plan normal de la vie conjugale, nous avons suffisamment indiqué ce qu’il y a de relatif dans la conclusion à laquelle nous voulons amener le lecteur. Pourquoi celui-ci refuserait-il à l’histoire des idées, des sentimens et des mœurs le droit qu’il accorde à celle de la politique, des institutions et à toutes les autres, d’établir des vérités générales qui ne peuvent être ébranlées par des anomalies particulières, ces anomalies eussent-elles même une portée assez étendue ? C’est toujours sous la réserve de certaines dérogations, de certains tempéramens que prennent légitimement place dans l’histoire les vérités, où se résume le passé et qui pourraient faire, si on savait mieux la lire, le profit de l’avenir.


G. FAGNIEZ.