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son chef et les charges d’une situation aussi lourde que brillante.

Mme de Cavoie n’aurait pas été l’épouse parfaite que nous connaissons, si elle n’avait évité à son mari tout le tracas du ménage et des affaires. Celui-ci n’entendait jamais parler de rien de fâcheux, du mariage il ne connaissait que les douceurs. Enfin, nous dit-elle avec sa crudité ingénue, « c’était comme si le sacrement n’y eût pas passé. » Mme de Vieillevigne dispensait aussi son mari, qui lui avait donné une procuration générale, de s’occuper de quoi, que ce fût. Elle affectait de s’en plaindre, tandis que Mme de Cavoie qui avait le cœur sur la main le disait naturellement comme elle disait toute chose, pour le plaisir de montrera tout le monde combien elle aimait son mari.

L’inventaire après décès d’Anne Phelypeaux, comtesse de Palluau, fait mention d’un livre en partie écrit de sa main où était enregistré le revenu annuel de ses rentes constituées et de ses terres. Il est vrai que le mari, Henri de Buade de Frontenac, n’était plus là pour tenir un pareil livre. Dans la comptabilité de la maison ducale de La Roche-Guyon, les états de recette et de dépense fournis par l’intendant étaient vus, clos et arrêtés par la duchesse, c’est-à-dire par Catherine de Matignon, puis par Jeanne de Schomberg.

Il y avait des femmes qui, en assumant l’administration de la fortune commune, semblaient agir moins pour en décharger leur mari que pour satisfaire le besoin d’ordre et de contrôle, le génie des affaires qui distinguent tant de personnes de leur sexe. Ces qualités pouvaient dégénérer en avarice, en fourberie et décrier celles qui en étaient douées. Ce fut le cas de Lucrèce Desplas, fille d’un opulent bourgeois de Toulouse et femme du premier président du Parlement de Bordeaux, Guillaume Daphis. Quand elle mourut en 1605, elle laissa la réputation d’une personne non seulement « merveilleuse en la ménagerie d’une grande maison », comme dit Etienne de Cruseau dans sa Chronique bordelaise, mais aussi tellement intéressée, tellement appliquée à faire commerce de tout, si peu scrupuleuse que, si elle eût vécu plus longtemps, elle eût sans doute enrichi beaucoup sa maison, mais aussi perdu d’honneur son mari et sa famille et même, ne craint pas d’ajouter le même chroniqueur, « rendu la ville de Bordeaux sans commerce. » La capacité féminine s’élevait, cela ne surprendra personne, jusqu’à des opérations commerciales importantes, et nous ne ferons que rappeler