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Mme de Cavoie et son intérieur. « Jamais femme n’a plus aimé son mari, » nous dit Tallemant, qui a prouvé par le vivant médaillon qu’il a fait d’elle et de lui que sa maligne complaisance à accueillir les commérages ne l’empêchait pas de voir le bien et de se plaire à le dire. Cavoie, qui aimait la jolie veuve à laquelle il donna son nom, la conquit d’un coup par une preuve d’amour bien significative. A la veille de se battre en duel, il fit un testament par lequel il l’instituait sa légataire universelle, en avertit une amie commune et supplia celle-ci de lui déclarer, s’il était tué, qu’il mourait son serviteur. La chose divulguée, on cherche Cavoie. Il était sorti sain et sauf et en vainqueur de cette rencontre. Celle qu’il aimait fut si touchée qu’elle l’épousa. Quand le service de son mari, qui était capitaine de la compagnie des mousquetaires de Richelieu, le tenait loin d’elle, elle avait toujours une lettre à donner pour lui à la première personne qui allait rejoindre la Cour et, cette lettre remise, elle en écrivait une autre et quelquefois une troisième. Elle ne se consola jamais de sa mort. Grâce à la protection du cardinal, elle put, quoique chargée d’une douzaine d’enfans, vivre honorablement. Tallemant ne nous introduit pas, à proprement parler, dans son ménage. Il nous permet toutefois de nous le représenter comme pénétré d’une chaude et cordiale affection, pas façonnière, bien gaillarde au contraire comme le prouvent les mots et les manières que rapporte l’indiscret chroniqueur et qui faisaient d’elle, pour la verdeur et la liberté des uns et des autres, une émule de Mme Pilou et de Mme Cornuel. Mme de la Guette, qui n’aimait pas les femmes « sucrées, » aurait aimé Mme de Cavoie.

C’est aussi parmi les unions fondées sur une intimité cordiale et sans complication sentimentale qu’il faut ranger celle de Madeleine d’Accosta et d’Antoine Brun, diplomate et magistrat au service de l’Espagne, qui nous appartient en qualité de Franc-Comtois. Four se faire une pareille idée de leur intérieur, il suffirait de la lettre que, de Ratisbonne où il représentait l’Espagne à la Diète de 1641, Antoine Brun adressait à sa femme. Après l’avoir louée de la générosité qui lui fait accepter de pénibles séparations et préférer ainsi le devoir et l’ambition à leur bonheur domestique, il lui déclare qu’il ne peut, quant à lui, les supporter plus longtemps et qu’il est résolu à l’emmener à l’avenir dans ses missions diplomatiques et, dès à présent, à