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à la restauration de quelques tableaux extraits de notre hôpital, non pour remplacer, mais pour boucher tant bien que mal les lacunes qu’avait laissées la décoration du salon de Compiègne. Il y aura peut-être parmi ces tableaux quelques productions qui pèseront sur ma conscience, mais le public, occupé de la grande cérémonie et de l’intérêt attaché aux augustes personnages qui en sont l’objet, n’apercevra pas ce qu’en d’autres temps il pourrait prendre pour des négligences ou des fautes de connaissances. Vous pouvez donc, monsieur l’intendant général, assurer Sa Majesté que le public et les étrangers verront et que sa Cour traversera le plus beau musée de l’univers. »

Plus encore que la bénédiction nuptiale dans le Salon Carré, assombrie par l’abstention de la majorité des cardinaux, le défilé dans la galerie du bord de l’eau fut le point culminant, l’épisode triomphal de la cérémonie du 2 avril 1810, celui qui laissa aux assistans le plus saisissant souvenir. Comme l’avait prévu Denon, le cortège impérial, attendu avec curiosité, acclamé par ce public d’élite avec un enthousiasme quasi populaire, accapara l’attention, et nul ce jour-là ne se soucia du détail des tableaux, de la vue desquels les Parisiens étaient pourtant sevrés depuis de longs mois.

Dès le surlendemain, Napoléon fit à la nouvelle Impératrice les honneurs du Musée : mais cette fois, loin de consentir à donner sa lune de miel en spectacle aux Parisiens, il prescrivit une consigne rigoureuse. « Monsieur le comte, » mandait Du roc à Daru, « LL. MM. comptent aller demain à deux heures de l’après-midi visiter le Musée. L’Empereur désire que les portes en soient bien fermées, et de n’y trouver absolument personne, si ce n’est vous, M. Costaz, M. Denon et M. Fontaine. Je vous prie de recommander que l’on fasse retirer tous les gardiens et autres employés que Sa Majesté ne veut pas y rencontrer. »

Cette visite solitaire, presque mystérieuse, fut enfin suivie de l’ouverture ou de la réouverture de la galerie au public. Les Parisiens, les provinciaux et étrangers venus en foule pour le mariage furent éblouis d’une telle accumulation de merveilles. Le succès alla surtout aux quatre travées consacrées aux écoles italiennes : la dernière en particulier, la plus proche du pavillon de Flore, ornée de cent chefs-d’œuvre, aurait fait « à elle seule la plus riche galerie de l’Europe, » comme Denon