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l’Apollon en particulier était plus ou moins heureusement présenté au Louvre. Avec la belle désinvolture de certains transfuges, Visconti n’admettait point la discussion à cet égard ; montrant l’Apollon à un politicien français qu’il avait connu comme agioteur au temps de la République romaine, il s’écriait triomphant : « Il est mieux là qu’au Vatican…, mieux placé, mieux éclairé, mieux vu dans toutes ses parties. » C’était l’opinion aussi enthousiaste et plus désintéressée d’une Anglaise, miss Berry. En revanche, les personnes attachées à l’ancien état de choses par leurs convictions ou par leur âge étaient généralement de l’avis de cette dame de l’émigration, qui, quelques années plus tard, adressait ses doléances à la veuve du dernier Stuart : « Vous pleurerez en voyant le bel Apollon du Belvédère presque jaune et très peu élevé devant une niche de poêle… Qu’il était rayonnant de charmes dans sa tribune ! » Le musicien allemand Reichardt, tout en se félicitant qu’on eût supprimé au Louvre « les affreuses feuilles de vigne vertes, imaginées par la pruderie romaine, » et « les inscriptions dorées rappelant les noms des papes, qui enlaidissaient presque chaque statue, » estimait lui aussi que l’Apollon, et surtout la Vénus du Capitole, étaient moins bien mis en valeur qu’à Rome.

Très fière de sa collection de sculpture, l’administration du Musée n’en était point satisfaite. Elle revendiquait contre le propriétaire actuel du domaine de Menars les marbres jadis accaparés par Marigny, en déclarant qu’elle ne se désisterait de ses prétentions que si on lui opposait une donation régulièrement consentie par Louis XV. Elle se préoccupait surtout de compléter les antiques venues d’Italie. Onze des objets d’art cédés à la suite du traité de Tolentino, et notamment les groupes colossaux personnifiant des fleuves, trop lourds pour être transportés à Livourne sur des chariots, n’avaient point fait partie du grand convoi, et étaient demeurés à Borne dans un magasin. Après la retraite de l’armée française, les Napolitains, usant à leur tour des droits de la victoire ou de l’occupation, avaient fait main basse sur ces trophées, ainsi que sur une statue de Pallas, récemment déterrée près de Velletri, sur les antiques de la villa Albani et sur la collection du duc Braschi (les Français avaient spolié ce dernier en sa qualité de neveu de Pie VI). Dès que le gouvernement consulaire eut engagé des