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Sans l’ombre de scrupule ni même d’embarras, Visconti s’employa de son mieux à disposer dans les salles du rez-de-chaussée du Louvre les merveilles dont une bonne partie avait été naguère cataloguée et « conservée » par lui au Vatican ou au Capitole. Malgré sa diligence et celle de l’architecte Raymond, la mise en état de la collection des antiques demanda bien près d’une année : par un trait de cet esprit de courtisanerie qui commençait à partout prévaloir, on décida de l’ouvrir au public pour le premier anniversaire de la Révolution du 18 brumaire. L’avant-veille (16 brumaire an IX-7 novembre 1800), Bonaparte parcourut les salles, suivi d’un cortège d’élite : son collègue Lebrun, Joséphine et Hortense, Murat, le conseiller d’Etat Benezech, qui sans en avoir le titre remplissait les fonctions de grand chambellan, Duroc, Eugène, le jeune Lebrun, Denon enfin, le directeur du lendemain, dont les ambitions se dissimulaient sous cette désignation inoffensive, « l’un des savans de l’expédition d’Egypte. » Le maître félicita chaudement Foubert, Visconti, Raymond, le vieux peintre et « sénateur » Vien, membre du conseil d’administration. Comme le temps avait manqué pour frapper une médaille commémorative de cette inauguration, on pria le général de daigner fixer lui-même, sur le socle de l’Apollon du Belvédère, une plaque de bronze avec une inscription dans laquelle Visconti, en style déjà presque monarchique, glorifiait Bonaparte conquérant et chef de gouvernement[1].

L’ouverture officielle eut un tel succès que les membres du conseil d’administration et les commissaires envoyés en Italie résolurent d’en perpétuer le souvenir par un banquet annuel. Les journaux célébraient « le théâtre pompeux où les chefs-d’œuvre de l’antique s’étonnent eux-mêmes de se voir fixés parmi nous et brillans d’un éclat tout nouveau. » Les visiteurs affluaient, badauds parisiens ou provinciaux, artistes, touristes surtout, très nombreux en ce premier hiver de paix continentale. Si tous admiraient une accumulation de chefs-d’œuvre telle qu’on n’en avait jamais réalisé auparavant, ceux qui avaient jadis été à Rome se divisaient sur la question de savoir si

  1. « La statue d’Apollon qui s’élève sur ce piédestal, trouvée a Antium sur la fin du XVe siècle, placée au Vatican par Jules II au commencement du XVIe siècle, conquise l’an V de la République par l’année d’Italie sous les ordres du général Bonaparte, a été fixée ici le 20 germinal an VIII, première année de son consulat. »