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pour le bien des arts, qu’on en privât le Muséum et qu’on le replaçât au lieu même pour lequel Rubens l’avait fait. » De Belgique, les armées républicaines débordèrent en Hollande. Ce pays calviniste ne recelait plus guère de « monumens de la superstition ; » mais, à défaut des trésors du « fanatisme, » ceux du « despotisme » furent déclarés de bonne prise, et les collections du stathouder enrichirent à leur tour le Muséum.

Il y avait donc déjà comme une sorte de tradition instituée quand Bonaparte franchit les Alpes. Pour les hommes à formation classique de la fin du XVIIIe siècle, non seulement l’Italie était par excellence la terre des chefs-d’œuvre, le foyer de la Renaissance, l’asile des principaux vestiges de l’art antique : mais en vertu de cette conception romaine de la conquête et de l’hégémonie intellectuelle, qui jadis avait fait affluer dans la péninsule les dépouilles de la Grèce et de l’Orient hellénisé, la France, héritière moderne de Home, se devait à elle-même de centraliser à son tour dans sa capitale, devenue celle du monde civilisé, les merveilles de la Renaissance et de l’antiquité, pour attester sa prééminence, pour mieux assurer aussi le progrès des arts et des « lumières. » Comme le Directoire le notifiait à Bonaparte : « Le temps est arrivé où leur règne (des beaux-arts) doit passer en France pour affermir et embellir celui de la liberté. Le Muséum national doit renfermer les monumens les plus célèbres de tous les arts. » Quant aux peuples dépossédés des chefs-d’œuvre dont tant de générations s’étaient enorgueillies, leur consolation serait de se sentir « affranchis » et rattachés à la « grande nation » par un lien d’alliance ou de vassalité.

Le jeune général de l’armée d’Italie partageait et encourageait cet état d’esprit. Dès ses premières victoires, à côté des contributions destinées à satisfaire un gouvernement famélique, il eut toujours soin de faire figurer des prélèvemens d’objets d’art, qui iraient enrichir le Muséum, susciter l’admiration des amateurs, exalter la vanité des Parisiens ; le jour même où il avait signé le traité par lequel Pie VI consacrait l’abandon de cent d’entre les joyaux du Vatican et du Capitole, Bonaparte écrivait triomphant : « Nous aurons tout ce qu’il y a de beau en Italie, excepté un petit nombre d’objets qui se trouvent à Turin et à Naples. »

Triés sur place par une commission d’artistes et de savans,