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de la bénédiction de Melchers, la bénédiction même de Dieu.

Hohenlohe, dans un rapport que le 7 août il présentait au conseil des ministres, refusait de croire à cette éventualité ; il lui semblait plutôt que les chefs du parti ultramontain saisiraient l’occasion des fêtes de Cologne pour manifester leur loyalisme envers la personne de Guillaume. Mais il ajoutait : « C’est précisément cet accueil aimable et respectueux réservé à l’Empereur, ce sont précisément les discours et les démonstrations inséparables de ce genre de cérémonies, qui sont propres à nous inquiéter. » Il se trouvait déjà des protestans pour déplorer le vote du récent projet de loi ; ils verraient, à Cologne, l’Empereur avoir l’air de faire des avances à des opposans, à des révoltés ; et les progressistes de gauche, au moment des élections, profiteraient du trouble des esprits pour faire leur trouée. Hohenlohe tenait pour nécessaire que le ministère invitât Guillaume à réfléchir un peu plus : et comme il advient dans les situations gauches, on trouvait pareillement difficile, et que Guillaume n’allât pas à Cologne et qu’il y allât. « Beaucoup d’encre coulera, écrivait Herbert de Bismarck, avant qu’on accouche d’une décision : et ce sera peut-être une fausse couche. »

L’Allemagne apprit en septembre que Guillaume, Augusta, le prince Frédéric seraient le 15 octobre à Cologne, pour présider à cette triomphante heure d’histoire : les catholiques de la ville, dans un meeting, décidèrent d’observer un « digne enlacement. » La décision fut observée : le chapitre de la cathédrale n’accorda pas d’autre office que le chant d’un Te Deum ; l’évêque auxiliaire, Baudri, tint à l’Empereur, en le recevant dans l’édifice, une allocution sobre et grave, où il appela de ses vœux le jour qui rendrait à l’Eglise la paix, à la cathédrale son pasteur ; beaucoup de maisons catholiques s’abstinrent de pavoiser ; tous les chanoines, sauf deux, refusèrent d’aller banqueter avec l’Empereur. L’effacement des liturgies, le silence de la chaire, la nudité des façades, disaient sans provocation, mais avec éloquence, que Melchers n’était pas là ; et qu’il souffrait, et qu’après le jour où l’on avait fermé son séminaire, le jour où sans lui s’inaugurait sa cathédrale était le plus amer de sa vie. Ne pas rendre à l’Empereur, peut-être, tout ce qu’on lui devait d’honneurs, c’était la seule façon qu’eussent les catholiques de Cologne pour rendre à Melchers lointain quelque chose de ce qu’ils lui devaient. Ils ne pouvaient acclamer, puisqu’ils avaient à protester.