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religieux, surtout des religieux contemplateurs ; il aurait voulu que les moines se transformassent ou fussent transformes d’office en ingénieurs et en architectes. Dans les couvens, on eût dressé les novices à la science et à l’art de faire des routes et de bâtir des maisons. Chaque couvent eût été une école des ponts et chaussées (ce qu’étaient déjà les frères pontifes d’Avignon et quelques autres congrégations). Voilà au moins des gens utiles à la société. Il insiste surtout sur cette idée que les travaux publics deviendraient ainsi moins coûteux pour l’Etat. En ceci, il n’est pas « moderne ; » car de nos jours, l’Etat préfère un service laïque coûtant beaucoup plus à un service religieux coûtant beaucoup moins. C’est une conviction philosophique.

Comme éducateur, il est très intéressant et c’est bien là qu’il est moderne, comme du reste Diderot et tous les philosophes du XVIIIe siècle, excepté Voltaire. Il a en horreur les études gréco-latines. Il veut les remplacer par les sciences et les langues vivantes. Il est essentiellement « enseignement spécial » et « enseignement moderne » : «… Nous avons, par exemple, dix fois plus besoin, dans le cours de la vie, des opérations de l’arithmétique et de la géométrie pratique, pour niveler, pour mesurer les parties de la terre, pour lever des plans, pour arpenter ; de la géographie, de l’histoire des hommes illustres, que de nous amuser à faire des vers grecs, des amplifications de rhétorique, des vers latins, etc., nous avons besoin de citoyens laborieux et appliqués… On nous apprend l’inutile et on nous laisse ignorer le plus important… » Il y a eu toujours un peu du « primaire » chez l’abbé de Saint-Pierre. C’est pour cela, sans aucun doute, que Sainte-Beuve a été si sévère ou si dédaigneux pour lui. Chose curieuse, du moins pour quelques-uns, l’abbé veut que l’on consacre beaucoup plus de temps et d’efforts à l’éducation qu’à l’instruction et il ne voit pas la grande force précisément éducative de l’étude des auteurs anciens. Il est probable que, s’il avait songé à cette considération, cette grande force éducative de l’antiquité, tout simplement il l’aurait niée. Pour mon compte et quant à présent, je ne suis pas encore de son avis et plus je vais au contraire, plus je suis frappé de l’étroitesse d’horizon des esprits qui ont reçu ou se sont donné une très forte instruction, mais qui n’ont pas commencé par les études classiques. C’est sans doute un préjugé.

Pour ce qui est de l’éducation des femmes, l’abbé est