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seul coup par pièce ; ses affûts, ses caissons furent brisés, ses officiers, sous-officiers et servans tués ou blessés ; le capitaine de cette batterie, tout couvert de sang, venait, peu d’instans après l’ouverture du feu par ses canons, dire au général de Cissey : « Voilà ce qui reste de ma batterie, moi seul disponible ! »

La division de Cissey tint bon cependant autant qu’elle le put, malgré des pertes considérables en officiers et troupe. Bien que Saint-Privat ait été complètement abandonné par les derniers élémens du 6e corps en retraite sur Metz, noire résistance est si héroïque à ce moment de la lutte que la tête de la colonne d’assaut allemande reste comme figée à mi-pente, sur la croupe de terrain qu’elle suivait pour atteindre Saint-Privat ; elle y restera immobile et terrifiée par ses pertes jusqu’à la nuit venue !

Le général de Cissey, considérant qu’il ne sera pas secouru, malgré ses demandes de renforts réitérées, voyant que sa division va être entièrement anéantie sous le feu le plus violent qu’on puisse imaginer, recule très lentement par échelons de brigade afin d’aller prendre une position de résistance en arrière à la lisière des bois de Saulny. L’attitude de ses troupes en impose toujours à l’adversaire, qui n’agira plus désormais jusqu’à la fin de la bataille que [par des feux très puissans d’artillerie auxquels nous ne pouvons répondre qu’avec quelques pièces en nombre insuffisant. La nuit approchait, il était sept heures du soir ; à cet instant, le soleil rouge comme du feu allait descendre au-dessous de l’horizon ; Saint-Privat, Amanvillers étaient en flammes, laissant échapper vers le ciel de longs tourbillons de fumée ; le peu qui nous restait de l’artillerie du 4e corps, non démonté et utilisable, tonnait et vomissait obus et mitraille ! Quel spectacle grandiose et impressionnant ! C’était, à cette heure tragique, l’effort suprême pour l’honneur que nous donnions à la France ! Il fallut, dans l’obscurité qui nous avait enfin gagnés, abandonner ce champ de bataille couvert de nos morts et de nos blessés ; il fallut, suivant les ordres reçus, rallier Metz au cours de la nuit : mais, malgré tout, la vaillance restait au cœur de nos soldats incomparables ; ils avaient soutenu une lutte gigantesque et se tenaient encore prêts, jusqu’à la fin, à de nouveaux sacrifices !

Nous avions perdu dans notre division : Officiers : 20 tués, 71 blessés, 21 disparus. — Troupe : 184 tués, 1 177 blessés, 375 disparus.