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et homme politique à la fois[1], que la Bohême, réduite sous Marie-Thérèse et sous Joseph II à l’état de simple province de la monarchie des Habsbourg, a trouvé la force de se relever pour réclamer la reconnaissance de ses droits méconnus. Palacky a ressuscité la nation tchèque : c’est une gloire très pure et très rare qui lui assure, parmi les grands historiens, une place à part, à côté des grands conducteurs de peuples.


Pour apprécier à sa valeur l’œuvre de Palacky, il convient de se reporter à cent vingt ans en arrière. Ecrasée en 1620 à la bataille de la Montagne Blanche, la Bohême était encore, à la fin du XVIIIe siècle, plongée dans une torpeur dont rien ne pouvait la tirer. Dépouillée de ses anciens droits et privilèges, elle n’existait plus comme nation, elle voyait venir le moment où, complètement germanisée, elle serait traitée à l’égal des pays dits héréditaires de la maison de Habsbourg.

L’aristocratie et les classes élevées ne gardaient que de vagues souvenirs du passé de la Bohême. Les descendans des plus grandes familles nobles ne faisaient, à peu d’exceptions près, que de courtes apparitions dans le pays. L’éclat de la Cour les attirait à Vienne, brillante résidence impériale où les fêtes et les réjouissances se suivaient sans fin. La population des grandes capitales des trois pays de la couronne de Bohême, Prague, Brno (Brünn), Opava (Troppau), et des villes secondaires était germanisée par les colons allemands, pour la plupart commerçans et industriels, et par les fonctionnaires de l’administration centrale, qui étaient exclusivement recrutés parmi les Allemands. La langue tchèque n’était parlée dans les campagnes que par les masses rurales, et dans les villes par les ouvriers, artisans et petites gens sans biens, sans instruction. Ce parler, déformé, altéré par le mélange d’élément étrangers, ne rappelait que vaguement le beau et clair langage de Komensky (Comenius), le grand pédagogue tchèque au XVIIe siècle.

  1. Né dans l’humble cabane d’un maître d’école à Hodslavice, village situé aux confins de la Moravie et de la Slovaquie, François Palacky reçut les premières leçons de son père, un excellent pédagogue, descendant des Frères moraves. La famille était nombreuse ; François était le puîné de douze enfans. Il fit ses études dans les écoles de Trencin et de Presbourg. Ce fut à l’âge de vingt-trois ans qu’il conçut l’idée de se vouer à l’histoire.