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les époux qui avaient un intérêt si évident à vivre ensemble, pouvaient cependant exceptionnellement en avoir un plus grand à se quitter. Le plus souvent chacun s’en ira de son côté là où l’attire l’espoir de se créer plus facilement des moyens d’existence, mais il arrivera aussi que la femme croit devoir se faire décharger de l’obligation de rester au foyer conjugal. C’est ainsi que, pour alléger leur commune pauvreté, Eustache Boitte autorise la sienne à aller gagner sa vie où elle voudra, soit comme regrattière dans les foires et marchés, soit comme domestique.

Dans les ménages aisés plus que dans les autres, quand les époux vivent à part, c’est la passion, le caprice qui les a séparés. Si Mlle Garnier acheta de 20 000 écus le consentement de son mari, Mangot, seigneur d’Orgères, à une séparation amiable, c’est qu’elle voulait être plus libre de récompenser les assiduités de Champlatreux, le fils du premier président, du futur garde des Sceaux,. Mathieu Mole. L’inconduite du mari eut sa part dans les dissentimens qui troublèrent l’union des T… mais l’animosité de la mère de Mme de T… contre son gendre, secondée par une suivante, fut surtout ce qui inspira à la femme une aversion tenace contre son mari. Il faut dire que le mariage avait eu pour origine une indélicatesse et une illégalité, car c’était au mépris de la loi et de ses devoirs que le père de M. de T… avait marié son fils à Mlle de L…, dont il était l’oncle et le tuteur et qui était une riche héritière. Par cet abus d’autorité il avait fait de la mère de la jeune fille une ennemie acharnée de lui et de son fils. Des questions d’intérêt avaient empiré des rapports conjugaux qui se ressentaient de ces fâcheux auspices. Le mari, par exemple, avait vendu une charge de lieutenant aux gardes et n’avait pas rendu compte à Mlle de L… de l’emploi de l’argent, bien que cette charge fût sans doute un immeuble de communauté. Mme de T… s’était laissé persuader, par la suivante que sa mère avait placée auprès d’elle, que son mari ne reculerait devant aucun moyen pour devenir veuf. Elle quitta la maison conjugale et se retira dans un couvent de Rennes. Le ménage vivait dans cette ville. Le mari fit alors ce que nous avons vu faire à-Samuel Robert. Ayant découvert que c’était au couvent de Saint-Georges que se cachait la fugitive, il s’y présenta, fut admis à la voir et à lui parler sous le voile et à travers la grille, lui demanda pardon et se soumit à toutes les réparations pour