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faible à se montrer en face du danger l’égal du sexe fort, liberté d’aller et de venir, d’avoir commerce avec le monde, voilà qui semble fait pour nous donner l’idée d’une personne, qui peut être certainement victime du libertinage ou de la cupidité d’un mari, mais qui trouve pourtant aussi dans la loi et plus encore dans des mœurs qui inclinent de plus en plus vers la sociabilité, de quoi se défendre et se faire écouter quand il s’agit des intérêts communs du ménage. Il faut aussi, en revanche, tenir compte des préventions que la théologie, le droit canon, le droit civil, la littérature populaire entretenaient dans les esprits contre la capacité et même la moralité féminines et qui, pour être moins raisonnées encore, qu’instinctives et traditionnelles, n’en étaient pas moins fortes.

En dehors de son intervention dans le régime des biens, l’autorité maritale consiste dans la prépondérance du mari au point de vue de la direction de la vie commune. La première marque de cette autorité, c’est l’obligation pour la femme de suivre le mari, d’habiter sous le même toit. C’en est aussi la première condition. Il faut qu’elle vive avec lui pour le servir, suivant la forte expression qu’on trouve dans une sentence du bailliage de Bourges, il faut qu’elle soit in manu mariti, et l’on va voir que cette expression n’est pas une simple métaphore. Nous avons déjà eu l’occasion de remarquer que l’abandon du domicile conjugal n’était pas légitimé même par des sévices. Il appartenait à la justice de décider si ces sévices dépassaient l’exercice légitime de l’autorité du chef du gouvernement domestique ? Celui-ci, en effet, pouvait corriger, enfermer sa compagne. Elle était, à cet égard, assimilée à l’enfant mineur. L’abus ne commençait qu’avec la blessure, le mehaing, comme avait dit autrefois à ce sujet Beaumanoir. Exceptionnellement, en Bourgogne, le droit de correction, même ainsi limité, était refusé au mari, et l’un d’eux, pour n’avoir pas respecté ce privilège, pour avoir fait ce qu’on faisait partout ailleurs, se vit condamner par le parlement de Dijon, le 6 mars 1597, à deux écus d’amende. Ainsi, devant la justice et ajoutons devant l’opinion, les coups ne portaient pas atteinte à la dignité de l’épouse. Il en était tout autrement, on le comprend, quand c’était le mari qui les recevait. Cela arrivait, même dans les cirasses élevées. Mme Le Ragois de Bretonvilliers battait quelquefois le sien. Celui de la marquise de Vervins l’était si souvent et si outrageusement