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civile et d’anarchie dont notre pays avait souffert, nous n’avons à signaler ici que le tort qu’ils avaient causé à la moralité qui règle les rapports des sexes. Nous nous contenterons de rappeler ce que nous avons dit ailleurs[1] de la multiplicité des rapts, des trop faciles annulations de mariages se répétant longtemps après que ces guerres avaient cessé. Jeune fille ou épouse, c’était la femme qui avait pâti de cette licence, de cette instabilité. Ce qui rend plus frappant encore ces défaillances morales, c’est la pureté de mœurs qui avait régné en France dans la période antérieure à nos luttes intestines ou, pour préciser davantage, dans la première moitié du XVIe siècle, et dont le père de Montaigne se donne à la fois pour témoin et pour exemple.

Ces temps troublés avaient eu un autre effet qui avait été, au contraire, de relever la considération de la femme autant que le libertinage avait pu lui nuire. Dans la vie de hasards, de surprises, de dangers qu’ils avaient faite à tout le monde et particulièrement aux habitans du plat pays, les paysans, les châtelains avaient trouvé maintes fois dans leurs compagnes d’utiles auxiliaires pour la défense du château, de la maison forte, du village auxquels surtout s’attaquaient les partis adverses, quelquefois celles-ci avaient dû et avaient su les défendre elles-mêmes. Plus d’une avait révélé une énergie et une habileté dont ceux qui les connaissaient les auraient crues, dont elles se seraient crues elles-mêmes incapables. Beaucoup avaient fait en petit ce qu’avait fait en grand une Chrétienne d’Aguerre, comtesse de Sault, levant des gens d’armes, écoutée dans les conseils, disputant la Provence au duc de Savoie. Mme de la Guette avait eu à veiller plus d’une fois sur la sûreté de son château de Sussy en Brie et, martiale comme elle était, ayant acquis, dès l’âge de douze ans, l’habitude de l’escrime et des armes à feu, cela n’était pas pour l’embarrasser. La baronne de Bonneval n’était pas moins guerrière que son mari, mais c’était aux dépens de leurs voisins et particulièrement des habitans d’Uzerche que l’un et l’autre exerçaient leur besoin de se rendre redoutables. La comtesse de Saint-Balmont jouissait, au milieu du XVIIe siècle, d’une véritable réputation d’amazone et, si la nature, si son caractère l’avaient préparée à la mériter, c’étaient

  1. Voyez la Revue du 1er janvier 1911.