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étaient acquis de plein droit, tantôt en vertu du contrat de mariage qui pouvait en faire bénéficier les deux futurs comme, cela se passait, dans la région coutumière, pour le préciput. En Provence notamment ce privilège de préemption était stipulé par le contrat et sur le pied de la réciprocité. D’après une jurisprudence constante du parlement d’Aix, lorsque les bagues et joyaux avaient été estimés dans le contrat, la veuve pouvait les prendre à la fois en nature et en valeur, l’estimation valant vente et faisant du mari un acheteur redevable de la partie de dot que représentait cette estimation. Dans la région de l’Auvergne qui suivait la loi romaine, l’épouse survivante reprenait en nature, dans l’état où ils se trouvaient et à charge de faire les frais de funérailles, les lits, la garde-robe, le linge et les joyaux. C’était, sous le nom de gaigne coutumière, une variante du préciput et des bagues et joyaux.

Loin des bassins du Rhône et de la Caroline où survit et règne à des degrés divers la tradition romaine, on rencontre une coutume qui est allée plus loin que toute autre dans le sens-de la puissance maritale et de l’incapacité féminine. C’est la coutume de Normandie. En Normandie, — c’est Du Moulin qui nous le dit, — la femme est traitée en servante et livrée aux pièges d’un mari cupide et retors. Mulieres ut ancillæ mullum viris sttis subditæ qui sunt avari et fraudatores. C’est l’esprit de la coutume, parce que c’est l’esprit de la race, d’une race guerrière, conquérante et féodale. Cela reste vrai, malgré les tempéramens apportés par le temps à la rudesse avec laquelle le sexe faible y est traité. La coutume normande lui appliquait rigoureusement la législation velléienne. Elle lui refusait une part quelconque dans les conquêts immeubles et excluait la communauté même comme régime conventionnel-Elle se relâchera pourtant de cette rigueur. Dès le XIIIe siècle, elle y déroge en accordant à la femme la moitié des bourgages, c’est-à-dire des immeubles urbains, puis, au moment où il se modifie et se fixe dans la rédaction de 1583, le droit matrimonial normand arrive à étendre sa part jusqu’au tiers en usufruit, sans distinction entre immeubles ruraux et urbains. Quant aux meubles, ce n’est pas comme femme commune qu’elle en prendra une part, mais comme héritière à la mort du mari, et ce qui lui en reviendra sera le tiers ou la moitié, suivant qu’il y a ou qu’il n’y a pas d’enfans. Elle recevait en outre un douaire. Quoique