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aurait confondus. Le mari et la femme sont bien pour elle deux associés, mais les droits d’associée de celle-ci sont soumis, pour devenir effectifs, à une condition suspensive, à la dissolution de la communauté. Non est proprie socia sed speratur fore, dira Du Moulin. Cette fiction juridique procède de la prépondérance de la puissance maritale qui rompt l’équilibre inhérent aux sociétés ordinaires. Mais plus cette puissance est grande, plus il est nécessaire de protéger contre ses abus celle qui la subit, et la jurisprudence comme la doctrine qui, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, ont conçu et établi ce système, se sont ingéniées à le l’aire. La personne que ses auteurs ont en vue est un être faible et dépendant (fragilitas sexus), mais, si sa faiblesse fait sa dépendance, elle appelle aussi toute la sollicitude de la loi, toute la fertilité d’expédiens des juristes.

Ce n’est donc, en principe, qu’au jour de la dissolution que la femme commune pourra faire valoir les droits dont elle est, en cette qualité, virtuellement investie. Ils ne diminuent rien de ceux du mari pendant la communauté. Il en était le chef et, comme tel, il pouvait toujours, sans le concours de sa compagne, disposer à titre gratuit ou onéreux des meubles et des conquêts immeubles qui faisaient partie des biens communs. Administrateur des propres de celle-ci, il en gardait les fruits et n’avait besoin de son assistance que pour les actes d’aliénation. Cependant à son pouvoir absolu sur le patrimoine commun la coutume de Paris, suivie par beaucoup d’autres, avait, dès sa première rédaction (1510), apporté une restriction qui fut confirmée par la seconde (1580). L’aliénation à titre gratuit ne fut dès lors valable que si elle avait lieu sans fraude et au profit de personnes capables. Cela allait lato sensu jusqu’à interdire les donations faites par le mari dans un intérêt personnel, par exemple à ses héritiers présomptifs, ou dans un intérêt dont la morale aurait eu à rougir, notamment à des bâtards.

Ce fut au début du XVe siècle que s’introduisit, pour conjurer la mauvaise administration et la dissipation de la communauté, à côté de la séparation de biens conventionnelle par contrat de mariage qui était rare, la séparation de biens judiciaire. On la trouve dans la première coutume de Paris. Elle ne dispensait pas l’épouse séparée de recourir, pour les actes d’aliénation, à l’autorisation de son conjoint et ne lui conférait que des pouvoirs d’administration. Elle était souvent accordée assez légèrement