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veste de fantassin, culotte kaki, bandes molletières. Il dort enveloppé dans une couverture et, en route, porte en deux minces rouleaux, sur sa selle, tout son équipement. Au cours de l’hiver dernier, ils ont cruellement souffert du froid ; ils vont maintenant avoir l’été à supporter ; ils s’attendent à toutes les privations et savent encore sourire. Ce sont des âmes bien trempées.

C’est à peine s’ils peuvent se nourrir. Une soupe, un ragoût composent leur menu le plus habituel. Et l’on s’accroupit par terre autour du plat pour y tremper tour à tour son pain ou ses doigts. Les caisses d’eau minérale sont l’objet d’une vigilance spéciale, tant c’est boisson précieuse en ce pays. J’ai vu un pauvre lieutenant offrir à des chameliers jusqu’à 8 sous pour une boite d’allumettes, — et n’en pas trouver. Celle que je lui donnai finalement le combla de joie.

En ce qui me concerne, je dois vivre de conserves, emporter mon pain qui devient dur comme du caillou, m’embarrasser de mille choses et veiller constamment sur mon bien, car les chameliers pillent tout, dévorent tout, d’un air conquérant et gouailleur.


Ces chameliers rendent le voyage extrêmement pénible. Par suite d’un décret récent du Résident général, le passage en Tripolitaine des chameaux tunisiens est interdit, et l’on est contraint de recourir à des Tripolitains.

Ceux-ci, habitués seulement à charger leurs bêtes de deux énormes sacs qui se font contrepoids sur les flancs, ne savaient quel choix faire dans mes fourreaux de campement, dans mes cantines et mes caisses de dimensions diverses. Au moment du départ, plusieurs, à la vue de ces choses hétéroclites, prirent un air soucieux et se dédirent, craignant le mauvais sort.

Les deux nomades qui ont enfin consenti à tenter l’aventure avec moi traitent sans ménagement mes richesses. Entêtés, querelleurs, ils n’acceptent aucun conseil, bien qu’ils ignorent tout des lois de l’équilibre et de la répartition des charges. De leur côté, les chameaux braillans se relèvent toujours avant la fin du chargement. Les caisses tombent, se brisent. Par fortune, je me suis approvisionné de sacs. Maintenant, tout s’y entasse dans la plus fragile confusion : paquets de sucre, bouteilles d’eau et boites de conserves.