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La remarque est exacte. Nul ne pourrait contraindre ces nomades à demeurer indéfiniment au camp — surtout que l’on ne se bat point. Perdant, un peu plus chaque jour, l’espoir de prises fructueuses, cette haute paye les engage tout juste à rester. Et, depuis quelque temps, à la frontière tunisienne, on voit se dessiner un exode contraire à celui du début des hostilités. Maints Tripolitains abandonnent le camp turc et retournent à leurs mines ou à leurs vignobles tunisiens. Ils ont fait des économies, ils sont parfois revêtus partiellement d’un uniforme italien. Ce serait le cas de dire, à leur sujet : Ense et aratro !


Je passe quelques jours à Menchyïa, petit camp d’avant-garde improvisé dans une oasis, auprès d’un caravansérail plus délabré encore que celui de Regdaline. Le jour de mon arrivée, le site me parut enchanteur. C’était le soir. Sous des bouquets de palmiers, parmi les dunes aux molles ondulations, se dressaient quelques tentes. Des chevaux entravés hennissaient alentour ; des graminées se doraient sur le sable au soleil couchant. Non loin, des caravanes fréquentes s’avançaient sur les pistes, disparaissaient bientôt dans la palmeraie, semblaient se promener à travers les allées d’un grand parc primitif. Tout était paisible et lumineux : le paysage entier baignait dans des lueurs roses et rappelait l’inexprimable sérénité des images bibliques.

Le lendemain, avec le soleil, lèvent se leva, un vent brûlant qui augmenta peu à peu d’intensité et souffla toute la journée en tempête, obscurcissant le ciel, flétrissant les palmes, battant de ses rafales embrasées les toiles de la tente dont les cordes claquaient. A chaque ruée nouvelle du simoun, je pensais que ma frêle demeure allait se déchirer et s’enfuir. Le sable coulait en ruisseaux sous la tente, s’infiltrait dans mes cantines, me remplissait les oreilles. Je passai toute la journée, haletant, la gorge sèche, sur mon lit de camp. Les chameaux, le cou tout allongé sur le sable, les chevaux, couchés sur le flanc, restaient complètement immobiles et semblaient des bêtes mortes.

Vers le soir, la tempête se calma. Le cuisinier put enfin allumer du feu pour le thé. Quelques officiers vinrent s’asseoir autour de ma table.

Leurs uniformes sont à bout, déchirés, graisseux. L’un d’eux, toujours de bonne humeur et qui parle admirablement français, me fait remarquer son accoutrement : bonnet d’artilleur,