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à s’amoindrir par des compromissions d’ordre politique. Les chefs sont résignés d’avance à la domination étrangère, — le Turc était déjà pour eux l’étranger, — et la qualité du maître leur importe peu.

Les Tripolitains n’avaient jamais accepté la domination turque sans impatience. En 1851, les Berbères du Djebel Ghaziân opposèrent une résistance acharnée aux troupes ottomanes quand celles-ci s’avancèrent dans leurs montagnes. De sorte que, à l’arrivée des Italiens si formidablement outillés, certaines tribus furent bien près de se rendre sans résistance. Elles inclinaient à la soumission immédiate, autant par haine de la domination turque que par le sentiment de leur faiblesse.

Traitées par les Ottomans de « turc à more, » ne parlant pas la même langue, habilement soudoyées par des émissaires gagnés à la cause italienne, leur reddition paraissait assurée. J’ai vu, un jour, dans un village, une fillette de douze ans servir d’interprète entre le cheik de l’endroit, vieillard aveugle, et un sergent turc qui, à la tête d’un détachement, recherchait le gros des troupes.

C’est alors qu’accoururent ces officiers que tout le monde connaît et admire aujourd’hui : Ferad bey, Enver bey, Fetih bey, Nechet bey, d’autres encore qui sillonnèrent la région et groupèrent autour d’eux les partisans de la lutte à outrance.

Les terribles massacres d’Ain Zara où les Italiens, d’abord traqués dans l’oasis qu’ils croyaient soumise, mirent tout à feu et à sang pour se venger, firent une hécatombe de vieillards, de femmes et d’enfans, ces massacres arrivèrent à point pour changer définitivement la face des choses, pour unir désormais le Turc et l’Arabe, ces ennemis de la veille, pour agglutiner dans une résistance désespérée les tribus vagabondes qui accouraient de toutes parts.

Le fait parait historique aujourd’hui. Nous ne le rappelons point pour en souligner l’atrocité. La guerre coloniale n’est qu’une longue suite de cruautés. Toutes les nations européennes en ont autant à leur passif.

Maintenant, les officiers turcs sont acceptés pour chefs. Ce n’est pas à dire qu’ils le soient aveuglément. Leurs ordres ne sont pas toujours exécutés sans murmure, surtout quand, pour ménager des vies humaines, ils tentent de modérer l’ardeur des combattans. Bien vite, leur prudence est taxée de couardise et