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prodiguait, était heureux de le voir partir. Ainsi, chacun d’eux jouait à l’autre une comédie, mais sans parvenir à le tromper.

Le lendemain du départ d’Armfeldt, on vit paraître à la Cour le baron de Reuterholm dont l’arrivée était depuis longtemps annoncée. C’était, nous l’avons dit, un vieil ennemi de l’ancien favori de Gustave III. Il ne put que se féliciter de le savoir absent. Mais il n’était pas homme à se contenter d’une si mince satisfaction et il poursuivit avec opiniâtreté le dessein qu’il avait conçu de le perdre. C’est probablement alors qu’il attacha à ses pas des espions chargés d’exercer sur lui une surveillance rigoureuse et dont nous raconterons plus loin les exploits.

Il apportait d’autre part des projets sur lesquels il s’était déjà mis d’accord avec le Régent. Ils consistaient, on le sait, à briser l’alliance conclue avec la Russie et à se rapprocher de la France, ainsi que le conseillait fortement le baron de Staël. Mais, pour faire accepter par l’opinion ce grand changement, il fallait la flatter. Dans ce dessein, Reuterholm, à peine au pouvoir, promulguait la loi qui rendait à la presse la liberté que Gustave III lui avait ravie. Il est vrai qu’après avoir fait à la Suède ce don de joyeux avènement, il se hâta de le lui reprendre dès qu’il eut acquis la certitude que la liberté de la presse allait devenir aux mains de l’opposition une arme dangereuse pour lui.

En même temps, il pactisait avec les révolutionnaires français et déclarait la guerre au parti des Gustaviens dont Armfeldt était le chef. Il les calomniait auprès du jeune Roi, le mettait en défiance contre eux ; d’autre part, il créait l’isolement autour de lui, en laissant entendre que ce malheureux petit prince était menacé de perdre la raison.

Ces calculs ténébreux, sur lesquels il est difficile à l’Histoire de se prononcer, n’échappaient pas à Armfeldt. À la date du 9 octobre 1792, dans une lettre écrite d’Amsterdam à Madeleine de Rudenschold, il les constate. Il va jusqu’à soupçonner « ces malfaiteurs et ces scélérats » de vouloir empoisonner l’enfant royal. Il songe à le mettre sous la protection de l’impératrice Catherine, en lui rappelant qu’elle a promis à Gustave IV de le défendre s’il était en péril. Comprenant du reste que, pendant la régence, ses adversaires seraient plus forts que lui, il commence à-croire qu’il ferait bien de ne revenir à Stockholm que lorsque