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ne voulait à aucun prix entendre la vérité, je me dispensai, bien à contre-cœur, de lui décrire tous les malheurs qui, d’après mon avis, seraient le résultat du nouveau décret. Je m’empressai de le quitter, le cœur serré :

« — Que le ciel protège Votre Altesse Royale, lui dis-je, et que la disposition d’esprit que Votre Altesse Royale a eu la bonté de me montrer soit aussi sincère et aussi durable que les vœux de succès que je ne cesserai jamais de former pour le Roi, la patrie et Votre Altesse Royale dont les intérêts sont inséparablement [réunis.

« Encore une fois, au souper de la Cour du même jour, j’eus une conversation assez longue avec le Régent, au cours de laquelle il me dit entre autres choses :

« — Ne pourriez-vous pas aller en Angleterre pour voir les princesses anglaises et en choisir une pour notre jeune roi ?

« Je lui répondis :

« — Quelque désir que j’aie d’obéir à la volonté de Votre Altesse Royale, je ne puis pourtant me charger d’une telle commission, parce que j’ai trop de respect pour les projets de feu le Roi et sens qu’une partie de la nation désire vivement que notre alliance avec la Russie soit raffermie par une alliance maritale.

« Le duc me plaisanta à ce sujet et chercha à me montrer que ces sortes d’alliance n’avaient que peu d’importance de nos jours ; le roi d’Angleterre était riche, et l’argent avait beaucoup plus de poids que de vastes projets et de brillantes perspectives qui, souvent, ne réussissent pas. Je ne voulais pas le contredire, car, au fond, il avait raison à ce sujet, et je me contentai de lui répondre :

« — Je crois que nos propositions à cet égard ne sont pas encore mûres ; lorsqu’il y aura lieu de prendre une décision définitive, il sera nécessaire d’avoir l’avis du Roi, et on agira sagement en lui laissant toute liberté à ce sujet.

« Le duc me regarda fixement et se tut. »

Ces détails ne laissent aucun doute quant à l’existence d’une animosité réciproque entre les deux hommes qu’on vient de voir aux prises. Armfeldt s’éloignait contraint et forcé, bien que son départ parût volontaire ; il se croyait condamné à une disgrâce certaine qui durerait jusqu’à la majorité du Roi. Le Régent, malgré les assurances menteuses qu’il lui