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Il n’était pas jusqu’à la lenteur des poursuites intentées contre les régicides dont Armfeldt ne fut offensé et irrité. Il la considérait comme un outrage à la mémoire de son maître. En un mot, de quelque côté qu’il tournât les yeux, il saisissait les preuves de la volonté du Régent de jeter la Suède dans des voies nouvelles, contraires à celles où l’avait engagée, le règne précédent. Ces preuves apparaissaient surtout dans l’entourage que se formait le prince et où entraient peu à peu les hommes les plus hostiles au souverain qui venait de disparaître.

L’imagination d’Armfeldt était vive, fougueuse même, souvent jusqu’à l’exagération. Il se figura que les changemens dont il était le témoin avaient pour but d’annihiler la volonté de l’enfant qui attendait que l’heure de régner sonnât pour lui et, lorsqu’il aurait atteint sa majorité, de rendre son règne impossible, ce qui eût prolongé la régence ou fait passer la couronne sur la tête du duc de Sudermanie. Il y avait quelque exagération dans ces craintes ; il ne sembla pas que le Régent ait alors conçu de telles ambitions. Mais il n’en était pas de même autour de lui. Celles de ses courtisans qui ne devaient se réaliser qu’en 1809, après que son neveu eut été détrôné, se trahissaient déjà dans leurs propos.

On peut voir à ces traits combien, quelques semaines après la mort de Gustave, la situation était tendue. D’un côté, Armfeldt et ses amis, qui, dans la conduite du gouvernement, ne trouvaient rien qui pût être approuvé ; de l’autre côté, les ennemis de l’ancien régime groupés autour du Régent, attendant impatiemment l’occasion de se délivrer de ceux qu’on appelait les Gustaviens.

Pour achever de décrire l’état de trouble en lequel ces rivalités, avaient jeté la cour de Suède, il convient de constater que le comte de Stackelberg, l’ambassadeur de Russie, se conformant aux ordres de sa souveraine, avait pris parti pour les royalistes dévoués à la mémoire de Gustave III et à l’avenir de son fils. Ils se réunissaient chez ce diplomate, toujours prêt à leur ouvrir sa maison et à se concerter avec eux sur les moyens d’imposer au Régent l’alliance russe à laquelle il s’efforçait de se dérober. La nouvelle de l’arrivée prochaine de Reuterholm, la présence à Stockholm d’un envoyé de la République française, l’abbé de Verninac de Saint-Maur, la décision prise de faire partir pour Paris le baron de Staël, furent donc les