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et a duré jusqu’au jour où le prince, mobile et débauché, a volé à d’autres amours. Maintenant, son ancienne amie appartient corps et cœur au chambellan Essen. Mais elle ne l’a pas plus fixé qu’elle ne fixa le duc de Sudermanie et, trop amoureuse pour rompre avec lui, elle souffre cruellement de se voir trahie.

L’histoire de Sophie, comtesse Piper, diffère un peu de celle de sa belle cousine. Elle aussi a été aimée, étant jeune fille, par l’un des frères du Roi, le duc d’Ostrogothie. Il en était si follement épris que, ne pouvant vaincre ses résistances, il voulut l’épouser. Elle refusa d’être sa femme, par crainte de déplaire au Roi, et accorda sa main au comte Piper, à qui depuis elle a été infidèle en faveur du secrétaire d’Etat, baron Taube, sur qui elle règne toujours. Elle est l’amie de cœur de la duchesse de Sudermanie, comme ne tarderont pas à l’être la comtesse de Lowenhielm et Mme de la Motte, fille du marquis de Pons, ambassadeur de France, qui, séparée de son mari, est venue rejoindre son père à Stockholm. Ces quatre femmes seront alors inséparables. L’attrait réciproque qui les rapprochera se devine déjà au plaisir qu’elles semblent éprouver en se trouvant réunies à Drottningholm.

A quelques pas d’elles, on remarque un autre groupe formé seulement de deux personnes, un homme et une femme. L’homme est beau comme un Apollon ; ses traits expriment l’énergie ; il n’a pas trente ans. La figure virginale de la femme en trahit à peine vingt et respire le bonheur. Issue d’une illustre maison suédoise, cette créature charmante s’appelle, encore aujourd’hui, Hedwige de La Gardie. Elle s’appellera demain la baronne d’Armfeldt. Elle est fiancée au brillant seigneur qui lui parle et qui se tient auprès d’elle dans une attitude d’adoration, Gustave-Maurice d’Armfeldt, l’Alcibiade de la cour de Suède, le favori du Roi. Leur mariage est prochain et le souverain, pour leur témoigner son amitié, a organisé des fêtes dont par avance on dit merveille.

De quoi parlent-ils ? De leur amour sans doute ; peut-être aussi de la solennité qui se prépare en leur honneur. Mais, quel que soit l’objet de leur entretien, il les absorbe et à ce point qu’ils ne s’aperçoivent pas qu’à travers les groupes parmi lesquels ils sont isolés, une belle jeune fille, de mine résolue, Madeleine de Rudenschold, demoiselle d’honneur de la princesse