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en se mêlant aux autres hommes sur le pied de l’égalité, se distingue toujours par la supériorité de son esprit et de sa nature ! Heureux le Prince qui, dans de pareilles circonstances, peut dans le royaume des lettres conquérir des provinces qu’il ne saurait perdre et défier les mauvais destins des dynasties ! »


V

Pauvre Prince, aurait-on pu répondre à Disraeli. A l’heure même où l’élite de la société anglaise lui témoignait une si grande, une si universelle déférence, la police impériale, honteuse d’avoir laissé passer, comme un papier innocent, la Lettre sur l’Histoire de France, et stimulée par le ministre de l’Intérieur, surveillait tous les envois qui arrivaient d’Angleterre. Un jour elle crut avoir fait une trouvaille qui intéressait la sûreté de l’Etat en arrêtant à la frontière le plus inoffensif des catalogues : un inventaire de tous les meubles du cardinal Mazarin, dressé par Colbert et que le Duc d’Aumale en curieux et en bibliophile avait fait précéder d’une préface. Tout écrit signé Henri d’Orléans paraissait séditieux. Il fallut trois semaines de négociations pour obtenir que Mazarin et Colbert pussent entrer en France. Un autre travail beaucoup plus important, les deux premiers volumes de l’Histoire des Princes de Condé pendant le XVIe et le XVIIe siècle, auxquels le Duc d’Aumale consacrait le meilleur de son temps, provoqua de plus grosses difficultés. Pour cette œuvre, Edouard Bocher, mandataire du Prince, avait conclu un traité littéraire avec l’éditeur Michel Lévy. Le manuscrit, recopié par la Duchesse d’Aumale, s’imprimait chez Claye. Le Prince avait reçu et renvoyé sans difficultés des séries d’épreuves, l’ouvrage allait paraître, on commençait à le brocher, lorsque le 19 janvier 1863, sur l’ordre du préfet de la Seine, un commissaire de police vint saisir toutes les feuilles d’impression et les transporta dans des tapissières à la Préfecture de Police.

Un citoyen anglais qui se croit lésé dans ses droits personnels n’hésite jamais à porter plainte devant toutes les juridictions qui peuvent le protéger.

Il tient à poser et à faire juger la question, non seulement pour lui-même, mais pour ceux qui peuvent se trouver dans son cas. En se défendant, il défend le droit de tous dans le présent et dans l’avenir. Déjà très pénétré de l’idée juridique que chaque