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saccadée et hautaine dont les périodes se pressaient quelquefois en tumulte les unes après les autres, comme si l’orateur avait peine à contenir le bouillonnement intérieur de la passion qui l’agitait. Il parla ainsi trois heures durant, faisant successivement le procès de tous les partisans du pouvoir temporel, n’épargnant personne, mais s’acharnant surtout sur les morts, sur les bannis, les absens, les vaincus. Du ton le plus méprisant, il évoquait « les bandes » de Lamoricière, il faisait le portrait ironique de M. de Mérode, ce sous-lieutenant belge transformé en ministre des armes ; il dénonçait à ses auditeurs la souveraineté pontificale « qui fuyait de toutes parts comme un vase fêlé » et la Papauté elle-même « cette cristallisation du moyen âge. »

Que le gendre du roi Victor-Emmanuel prit publiquement position en faveur de l’Italie contre la Papauté, au moment où l’Empereur paraissait hésiter, c’était affaire entre son cousin et lui. Les exilés pouvaient regarder de loin d’un œil détaché cette scène de famille. Mais qu’il se permit à ce propos de refaire l’histoire de France et de sacrifier d’un seul trait toutes les gloires de l’ancienne monarchie à la gloire plus récente des Napoléon, cette audacieuse entreprise appelait une réponse. Le Duc d’Aumale la fit avec une souveraine éloquence. Quoiqu’il eût déjà donné bien des preuves de sa valeur intellectuelle et morale, jamais encore il ne s’était élevé si haut. En face de ce vainqueur sans générosité qui abuse de sa situation privilégiée pour accabler les vaincus, il dresse une autre image, celle de l’honnête homme, momentanément délaissé par la fortune, qui ne réclame aucun privilège, qui veut simplement savoir s’il lui sera permis de défendre contre un gouvernement tout-puissant son honneur et celui des siens publiquement outragés. Ce droit qui sur le sol de la Grande-Bretagne ne serait refusé à aucun citoyen anglais, un citoyen français exilé peut-il le revendiquer sur la terre de France ?

« L’attaque injurieuse, dit le Duc d’Aumale, qu’un pouvoir si fort et qui vous inspire tant de confiance a endossée, propagée, affichée sur tous les murs, ma réponse peut-elle la suivre et se produire, en se conformant aux lois, sur le sol même de la patrie ? J’en veux faire l’expérience. Si elle tourne contre mes vœux et si, au mépris des notions de la justice et de l’honneur, vous étouffez ma voix en France dans une cause si légitime, elle aura du moins quelque écho en Europe et en tout pays