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tantôt entraînée par le mouvement qui poussait l’Italie vers l’unité. Il aimait à coup sûr les Italiens, il leur avait donné une preuve de sa sympathie en faisant entrer dans l’armée piémontaise son neveu, le Duc de Chartres. Mais il était loin d’approuver tout ce qui se passait dans la Péninsule. Certaines violations du droit, favorisées par la politique impériale, blessaient en lui le sentiment de la justice. Il n’était pas plus papalin que Cuvillier-Fleury ; mais il ne pouvait pas fermer les yeux sur les contradictions d’une diplomatie qui, après avoir travaillé à l’affranchissement de l’Italie, lui refusait ensuite Venise et Rome. Le résultat de cette politique ambiguë lui apparaissait clairement. Après tous les sacrifices que la France avait faits, après Magenta, après Solférino, nous ne devions plus compter sur la reconnaissance des Italiens. Si un jour nous avions besoin d’eux, nous ne les trouverions plus. L’événement n’a que trop justifié ces prévisions pessimistes.

Parmi les rares organes de la presse qui se permettaient quelques réserves en parlant de la politique extérieure, au risque d’attirer sur leurs têtes les foudres impériales, le Journal des Débats se distinguait par le talent et par le courage de ses rédacteurs. Prévost-Paradol, Sacy, Saint-Marc Girardin y voisinaient avec Cuvillier-Fleury. Le Prince, en lisant leurs articles, y retrouvait comme un écho de la liberté disparue. Aussi témoigna-t-il un peu d’inquiétude lorsque le bruit se répandit que le journal allait être vendu, acheté sans doute pour le compte du gouvernement. Heureusement, pas plus que ses rédacteurs, le journal n’était à vendre. Quelles n’auraient pas été les appréhensions du Duc d’Aumale s’il avait su que vers la même époque François Buloz, écœuré et inquiet, fut tenté un instant de transporter à Genève la Revue des Deux Mondes pour conserver son indépendance. Cette fois, l’Empereur comprit qu’il ne fallait pas laisser sortir de France un organe si important, que ce serait un affaiblissement de l’influence française, et il fit savoir indirectement à la Revue qu’elle n’avait rien à craindre.


III

L’exilé se contentait en général d’exprimer son opinion en quelques mots, par des confidences discrètes. Il mettait d’autant