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boirai jamais plus. Après ce commentaire, on a appelé pendant quelque temps M. Roosevelt le candidat de la tasse de café, mais bientôt des choses plus graves ont fait oublier cette plaisanterie.

M. Roosevelt, en effet, a engagé contre M. Taft une bataille sans merci, où il a prodigué les accusations, les injures, les outrages contre son ami de la veille, son ancien collaborateur, le candidat qu’il avait lui-même fait élire à sa place après l’expiration de son deuxième mandat. M. Taft a riposté de son mieux ; il a fait effort pour n’être pas en reste avec son redoutable rival ; mais il y parvenait difficilement et on sentait, surtout dans les débuts, que le cœur n’y était pas. M. Taft n’est pas naturellement un homme de combat ; il a conservé les habitudes de ses anciennes fonctions de magistrat ; il n’a pas l’intensité d’action et la verve à l’emporte-pièce de M. Roosevelt. Celui-ci ne connaît ni la fatigue, ni la mesure, et il faut bien dire qu’il n’a fait preuve d’aucun scrupule. Pour atteindre son but, tous les moyens lui ont été bons. Si on l’a accusé de démagogie, ce n’est pas sans motifs. Il a fait appel aux passions des foules, dénoncé la fortune comme un vol, excité le pauvre à la reprise des biens qui lui avaient été enlevés, mis en cause les décisions judiciaires dont il a soutenu qu’elles devaient en dernier ressort être soumises au peuple par voie de référendum, dénoncé enfin cette Cour suprême que nous avions l’habitude de considérer comme la meilleure institution des États-Unis et que nous leur envions, parce qu’elle nous semblait être le seul frein possible dans une démocratie. De tout cela M. Roosevelt a fait litière, prononçant au hasard des circonstances, des mots qui peuvent être ceux d’un candidat exaspéré, mais ne sont pas ceux d’un homme d’État qui en a pesé le sens et s’apprête à en faire l’application. On ne reconnaissait plus le Roosevelt d’autrefois, et, tout en admirant son indomptable énergie, on se demandait si elle n’était pas plus nuisible qu’utile à son pays. Sa figure convulsée nous en expliquait d’autres que nous avions vues passer dans l’histoire, qu’elle traversait avec une allure puissante et quelquefois tragique. Le souffle des révolutions était en lui. Quoiqu’il advienne désormais, sa campagne électorale sera un épisode important dans l’évolution des États-Unis qui, pas plus que M. Roosevelt lui-même, ne seront plus après ce qu’ils étaient avant. Beaucoup de colonnes qu’on croyait solides auront été ébranlées ; beaucoup de choses qu’on croyait sacrées auront été bafouées ; quelques-unes se seront effondrées pour toujours. Ce n’est pas seulement en Amérique que nous avons vu, dans ces derniers temps, s’opérer des transformations semblables. Pour qu’elles s’accomplissent ; il faut sans