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ballerines françaises du théâtre électoral de Mannheim, Mlle Caroline Boccard, qui le pria de prendre le café en sa compagnie. Ayant refusé d’abord, il ne put se défendre longtemps contre l’insistance de cette belle personne ; il céda donc, ne lui promettant toutefois qu’un instant. Mais Mlle Caroline connaissait à fond, dit-il, l’art de retenir les gens auprès d’elle, en sorte que cet instant devint une longue demi-heure avant qu’il s’en fût rendu compte. Il se mit ainsi fort en retard et trouva le petit prince en compagnie de son sous-gouverneur, tous deux attendant dans les jardins son retour avec quelque impatience. Or quand ils pénétrèrent ensemble dans l’atelier qui était le théâtre de leurs occupations quotidiennes, ils s’aperçurent avec effroi qu’un lourd contrevent, soudain arraché de ses gonds par un violent courant d’air, venait de tomber précisément sur la petite table où l’enfant précieux s’asseyait chaque jour à pareille heure : la pesante masse de bois avait réduit en miettes tout ce qu’elle avait atteint dans sa chute.

Lorsqu’il retrace cet événement dans ses Souvenirs en 1813, Mannlich ajoute que le roi Max, dinant quelques jours plus tôt chez le comte Rechberg, avait encore fait allusion à cet épisode en disant publiquement à la Reine : « Si ce vieux libertin de Mannlich n’avait pas été prendre une tasse de café chez une danseuse d’opéra, il y a déjà plus d’un demi-siècle que j’aurais fait mes adieux à ce bas monde ! » En ce cas, conclut le peintre, courtisan visiblement chatouillé dans son amour-propre par une si bienveillante allusion, la ligne cadette (et actuellement ducale) de la maison de Wittelsbach, celle de Birkenfeld-Gelnhausen, occuperait aujourd’hui le trône de Bavière ! A quoi tient le destin des royaumes ?


ERNEST SEILLIERE.