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pose. » C’est ainsi que ce paternel souverain mariait l’esthétique à la morale, oubliant un peu la comtesse de Forbach épousée par lui après quelque dommage et certaines étoiles d’Opéra qu’il lui donnait encore à l’occasion pour rivales.

Après avoir laissé Mannlich environ un an sous la direction de Boucher, le duc obtint pour lui du marquis de Marigny, alors directeur des Académies et Manufactures royales, une place de pensionnaire à notre Ecole de Rome que dirigeait à ce moment Natoire. Au départ, Boucher munit son élève de ce viatique bien significatif : « Ne vous attardez pas trop longtemps à Rome, croyez-moi, et étudiez-y surtout les œuvres de l’Albane et du Guide. Raphaël, malgré sa renommée, n’est qu’un artiste assez froid, et, quant à Michel-Ange, il ne saurait susciter en nous d’autre sentiment que la terreur. Vous pouvez contempler à l’occasion leurs travaux, mais gardez-vous bien de les imiter : vous ne feriez que refroidir toute chaleur de sentiment dans votre âme. Pour ma part, j’ai jadis fait cadeau à Sa Majesté de trois années du séjour italien qu’il m’avait octroyé à ses frais, puisque, au bout d’un an, j’étais déjà de retour à Paris où, m’abandonnant aux leçons de la nature, je fis de rapides progrès. » Celui-là prétendait donc aussi se mettre à l’école de la nature et du sentiment. Il avait lu Jean-Jacques, et il essayait d’interpréter à la mode du jour les inspirations, assez peu « naturelles, » en vérité, de son pinceau.


IV

Nous ne parlerons pas ici des souvenirs romains de Mannlich[1] dont les impressions parisiennes fixent surtout notre attention en ce moment. Lorsqu’il revit les rives de la Seine dans l’hiver de 1772, il observa d’un regard plus mûr le spectacle animé qui se déroulait sous ses yeux et se montra plus capable que par le passé de goûter les attraits variés de la grande ville. Ce fut alors que la comtesse de Forbach le mit en relations plus intimes avec ses commensaux philosophiques, principalement avec Diderot, sur lequel il n’est pas sans nous fournir quelques détails intéressans et nouveaux : « Je veux vous faire lier connaissance avec le philosophe, lui dit-elle un jour, — entendant par cette

  1. Nous en avons donné quelque aperçu dans la Revue hebdomadaire du 20 janvier 1912.