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heure de popularité dans notre capitale avant beaucoup d’autres qui connurent également l’honneur d’être pourvus du droit de rite parmi nous : il mérite en conséquence des Parisiens du XXe siècle le tribut d’un souvenir courtois.

Christian de Deux-Ponts était d’autant mieux au ton et au goût de son époque qu’il avait épousé sinon une bergère, à la mode des héros de Florian, du moins une fille d’humble extraction. Il acheta pour elle en Alsace la seigneurie de Forbach qui rapportait cent mille livres de rente environ et que Stanislas Leczinski érigea bientôt en comté sur sa requête. Mais qui était au juste cette comtesse de Forbach que son maître distingua fort jeune, qu’il épousa après quelques années de vie commune, qu’il appelle sa « bonne amie » dans sa correspondance avec ses neveux et à laquelle il resta dévoué, sinon très strictement fidèle, jusqu’à la fin de sa vie ? C’est ce qui n’est pas très nettement établi et ce que nous essaierons d’éclaircir.

Son nom même est controversé. L’éditeur des Souvenirs de Mannlich l’appelle Marianne Camasse de Strasbourg, et nomme son frère, qui fut secrétaire des commandemens du duc Christian IV, Pierre Camasse de Fontenet[1]. La baronne d’Oberkirch, née Waldner-Freundstein, parle de Marianne, dans ses Mémoires bien connus, comme « d’une belle danseuse que le duc fit la folie d’enlever au théâtre pour la nommer comtesse de Forbach. » Mais il semble que cette assertion soit inexacte. La comtesse ainsi que son frère dont nous avons déjà prononcé le nom étaient gens de parfaite éducation, et, sans nul doute, grandis l’un et l’autre dans un milieu de bonne bourgeoisie où les ballerines ne se recrutent guère. En réalité, Marianne paraît avoir été la fille d’un régisseur des biens de la maison ducale à Bischweiler : aimée par Christian IV pour ses grâces juvéniles dans le style de Greuze, elle fut épousée par lui quand elle lui eut donné plusieurs enfans.

Si nous avons esquissé cette courte enquête généalogique,

  1. Mais, d’autre part, l’historien de la ville de Bischweiler, Culmann, qui écrivait peu de temps après les événemens en 1826 et, à la suite de cet historien celui de Zweibruecken, Molitor, ainsi que le grand dictionnaire biographique de nos voisins, l’Allgemeine Deutsche Biographie (à l’article Christian IV de Zweibruecken) l’appellent Marie-Anne Fontevieux et soutiennent qu’on l’aurait indûment nommée Camas ou Camache. Nous inclinerions à la croire née Camasse de Fontenay, — Fontevieux étant assez voisin de ce dernier nom, qui, sans doute emprunté de quelque modeste propriété de ses parens, devait flatter davantage dans son âge mûr l’épouse morganatique d’un prince régnant.