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Les Berabers ont vu tomber le chef ; ils redoublent d’efforts ; ils s’excitent par des cris de victoire ; leur exaltation de guerriers, leur haine de musulmans passent dans la foudre de leurs armes ; leur mouvement de recul causé par le tir mortel du lieutenant s’est arrêté.

Mais la mort du capitaine a enflammé les tirailleurs ; maintenant, c’est pour le chef mort qu’ils se battent. Le clairon Moussa Sidi Bé, jeté à terre par sa première blessure, se redresse et, debout près du cadavre, insulte les meurtriers. Le lieutenant, lui ordonne de se coucher. Il montre l’ennemi. « Non lui y a croire moi y a peur. » Une balle lui brise la cuisse ; il se relève ; il retombe, la jambe fracturée en trois endroits.

Sur 45 hommes 10 sont tués, 22 sont blessés. L’ennemi les croit à sa merci.

Cependant des coups de feu résonnent à l’Est ; à 800 mètres, des fuyards remontent en courant vers le puits ; ce sont les agresseurs du convoi qui ont échoué : ils sont poursuivis par les tirailleurs du sergent Rolland. Les Berabers craignent d’être tournés à leur tour ; ils hésitent ; en même temps, des signaux faits du campement les rappellent ; ils se replient.

Pendant le combat, le rezzou a pu charger ses chameaux, remplir ses peaux de bouc, son but est atteint ; il n’a plus qu’à fuir.

Depuis vingt-quatre heures, les tirailleurs n’ont pas mangé, ils sont épuisés par les marches forcées de jour et de nuit qui ont précédé l’attaque, ils se battent depuis une heure du matin, et il est dix heures ; c’est à peine si les survivans se soutiennent, mais l’ennemi recule ; ils veulent se jeter à sa poursuite.

Le lieutenant Morel pour les retenir est obligé de leur montrer le corps du capitaine dont ils ne doivent pas se séparer.

De loin, ils tirent sur le rezzou en retraite et sur l’arrière-garde qui protège ce mouvement.

Les chameaux s’éloignent ; bientôt sur le ciel pâle du désert, ils ne forment plus qu’un feston mouvant, la plaine se vide, les dernières salves des tirailleurs s’éteignent. Dans le campement hâtivement évacué, le sol se soulève par endroits sous des groupes de cadavres à peine recouverts de sable ; quelques corps gisent épais çà et là, les derniers tombés et qui n’ont pu être enterrés ; les bagages délaissés encombrent le sol ; dans les