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victoire. Il appelle le sergent : « Dirige l’assaut. » Puisqu’il ne peut plus commander : qu’on lui donne le fusil d’un mort.

Adossé au tronc d’un arbre, il se prépare à tirer.

Subitement le soleil se lève. Dans les ombres qui se meuvent, là-bas derrière les abatis, et sur lesquelles les tirailleurs se disposent à se lancer, Maritz distingue des figures… il lui semble que ces ombres portent un uniforme… que des baïonnettes brillent au bout des fusils… Est-ce la fièvre qui trouble sa vue ?… Mais le vêtement clair de ce chef qu’il vise n’est pas un boubou… Ce chef n’est pas un noir, c’est un Européen ! Ces ennemis ne sont pas des sofas ! On l’a trompé !

Un suprême effort le soulève pour commander : « Cessez le feu ! En retraite ! »

Les tirailleurs n’ont pas compris ; cependant, ils ont obéi.

Autour de leur lieutenant, farouches, prêts à le défendre de leurs baïonnettes, puisqu’il a interdit de tirer, ils reçoivent sans bouger les dernières balles de l’ennemi.

Sur trente, ils ne sont plus que vingt, dont dix-huit sont grièvement blessés, mais ils ont enlevé les cadavres des dix tués qui devant leur officier forment un rempart ; morts, ses hommes le défendent encore.

Bientôt, ceux qu’on a dit à Maritz être des sofas suspendent leur tir. Etonnés du recul subit des assaillans, après la furie de leur offensive, sans que leur retraite ait été protégée par un seul coup de fusil, ils pensent que des adversaires aussi redoutables se sont dérobés pour attaquer sur un autre point. Une compagnie se lance à leur poursuite.

A cent mètres, elle se trouve en présence de tirailleurs, baïonnette au canon, retenus à grand’peine par un officier mourant… Celui qui commande arrête brusquement ses hommes. Lui aussi croyait avoir allaire à des sofas… il reconnaît des Français ; il s’attendait à rencontrer une troupe nombreuse… il a devant lui vingt hommes, dont quelques-uns seulement peuvent se soutenir ! Il s’approche et salue l’héroïsme et la mort ! C’est un Anglais !

Le gouverneur de Sierra Leone, inquiet des brigandages commis par les bandes de Kémoko Bilali sur son territoire, avait envoyé contre elles une expédition commandée par le colonel Ellis. Cette colonne comptait, en outre des détachemens de police de la frontière, quatre cents hommes du régiment de