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dispersent, ils tirent abrités : leurs balles parviennent à peine jusqu’au but, mais les assiégés ne sont plus que dix.

Cinq nouveaux blessés gisent à terre. Ils ont fait le coup de feu tant qu’ils ont eu des forces, maintenant ils ont donné leurs cartouches aux survivans, les dernières cartouches ! Car les munitions vont manquer.

Enfin la nuit arrive : le suaire des ténèbres recouvre les cadavres de Kouby Keila et de deux tirailleurs.

Le sergent comprend qu’il ne peut plus résister. Il est impuissant contre le nombre. Il a fait son devoir, il a maintenant celui de sauver ceux qui vivent encore et de regagner le premier poste, « afin de rendre compte, » comme il le dit plus tard.

Silencieusement, il donne les ordres de départ et forme son convoi : l’ennemi garde les corps des chefs, il ne lui laissera pas d’autres trophées ; il emporte ses morts et ses blessés.

L’ombre protège sa retraite. Grâce à l’obscurité, à coups de baïonnette, dans la rage qui triple les forces, il réussit à crever le cercle des soldats d’Ahmadou.

Cependant, sur ses pas résonnent les appels de ceux qui le poursuivent. Au jour, il doit leur faire tête, et recommencer à se battre. Autour de lui, se serre la glorieuse phalange dont chaque jour les rangs s’éclaircissent, mais les survivans, épuisés, les yeux brillans de fièvre, retrouvent des forces pour tenir à distance la meute qui les harcèle, sans oser les approcher, attendant de les voir tomber.

Cette poursuite dura plusieurs jours ; quand le sergent Samba Taraoré parvint au premier poste français, sur les dix-huit tirailleurs, escorte du capitaine Cazemajou, six avaient été tués et huit étaient blessés.


LA MORT DU LIEUTENANT MARITZ

La lune resplendit, sa clarté inonde la brousse et fleurit de blanc l’extrémité des branches. Sur le sentier qui se détache comme une traînée d’un gris clair entre les herbes plus sombres, les tirailleurs vont silencieux, la fraîcheur de la nuit les rend légers, et surtout la pensée du combat vers lequel leur officier les conduit.

Le lieutenant Maritz marche en tête, il s’est mis en route, le