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LA VOCATION PAYSANNE ET L’ÉCOLE.

ignorance serait la même, si la leçon avait rattaché dans son esprit les événemens de l’Année terrible à l’événement familial, au malheur de l’aïeule qui tant de fois a raconté « la grande peine qu’elle s’est vue, » pauvre vieille, aujourd’hui toute blanche, qui verse encore une larme quand un conscrit du voisinage lui vient « toucher main » avant de partir, qui chaque année, le jour de la Toussaint, tire de l’armoire une photographie et quelques lettres, les étale sur le lit et gauchement s’agenouille devant ces reliques ?

Il n’est pas un grand événement de l’histoire qui n’ait eu sa répercussion au village. Les maîtres devront lire les ouvrages spéciaux et les revues, suivre les travaux des sociétés locales, fouiller les minutes des notaires, les archives publiques et privées, pour relever les moindres traces de ces répercussions, d’où ils tireront le plus possible la substance de leur enseignement. Mais, quel que soit le zèle des travailleurs et le bonheur de leurs découvertes, il arrivera souvent que les documens manqueront. Nous sommes au point vif de la question. Nous renouvelons, sans y rien changer, le conseil que nous avons déjà donné : qu’on n’hésite pas à recourir à la fiction pour établir la trame du récit, l’animer et le rendre fécond.

Les historiens feront peut-être des réserves. Nous pourrions leur répondre que nous sommes des paysans, uniquement désireux de voir nos fils rester à la charrue, et que leurs préoccupations nous sont indifférentes. Mais la vérité, qui est le premier souci des historiens, doit être celui de tout le monde et nous nous flattons qu’il est aussi le nôtre. Sur les Gaulois et les Romains, la féodalité et Jeanne d’Arc, Henri IV et Louis XIV, la Révolution et l’Empire, nous mettrons dans l’esprit des enfans des notions parfaitement vraies, même si elles sont liées à des personnages et à des faits imaginaires.

Beaucoup de Français, qui ne sont pas des paysans, seraient étonnés et même humiliés, si on retranchait de leur science historique tout ce qu’elle doit au roman, au théâtre, aux chansons, aux légendes, c’est-à-dire à des fables. La vérité historique que les petits paysans devront à notre méthode sera une vérité élémentaire, de bon aloi, d’un usage courant, une vérité de faits, sur laquelle tout le monde est d’accord, et qui leur suffira, avec cet avantage ; qu’elle sera durable, tandis qu’il ne reste rien de ce qu’une autre méthode leur donne aujourd’hui. On confie à