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s’échappe et il l’ouvre, j’essaie de le retenir. Mais si, m’échappant, il se précipite, je ne me crois pas forcé de le suivre. » L’apologue a du moins cette qualité qu’il n’est pas obscur, et que, pour l’avoir compris, il suffit de l’avoir entendu.


Le chancelier de l’Empire, M. de Bethmann-Hollweg, n’a pas voulu, soit au point de vue purement allemand, soit à un point de vue plus général, que l’esprit restât sous l’impression des paroles de sir Edward Grey. Dans la séance que le Reichstag a tenue le matin du 5 décembre, il s’est, doit-on dire : défendu, en attaquant un peu, et c’est, comme le ministre d’Etat anglais l’avait noté, une chose jusqu’ici insolite, que ces manières de polémiques entre hommes d’État. Ce que M. de Bethmann-Hollweg repousse par-dessus tout, c’est l’apparence même d’avoir cédé, en juillet, aux représentations, aux objurgations anglaises. Non, l’Allemagne n’a pas cédé, si elle a cru devoir observer les formes ; mais la main de fer était bien, le chancelier ne permet pas qu’on s’y méprenne, sous le gant de velours, d’ailleurs percé au bout des doigts. « Si nous avions répondu publiquement à l’Angleterre, si nous avions révélé au monde la protestation que nous fîmes parvenir au Cabinet de Londres, nous n’aurions pas rendu notre chemin vers le but plus court ou plus aisé. » Puis, reprenant le mot de sir Edward Grey : — S’il venait un jour où un ministre anglais ne pourrait parler comme le fit M. Lloyd George, ce jour-là l’Angleterre aurait cessé d’exister comme grande nation, — M. de Bethmann-Hollweg s’écrie : « Je réclame le même droit pour l’Allemagne ! » Et non sans amertume : « Le premier faux pas eut lieu en 1904, quand l’Angleterre et la France disposèrent du Maroc sans tenir compte des intérêts de l’Allemagne. » De ce faux pas, et de tous les faux pas qui l’ont suivi, quelles auraient pu être les conséquences ? Quelle aurait pu en être la conséquence extrême ? Avons-nous ou n’avons-nous pas été, l’été dernier, tout près de la guerre ? Question devenue heureusement oiseuse. Prenons garde plutôt aux deux ou trois ans que demande encore sir Edward Grey pour proclamer la paix de l’Europe sûre et consolidée. Prenons garde aux péripéties qui peuvent, dans son âge tendre, traverser la formation et nouer la croissance d’une amitié nouvelle, en engageant ou mettant à l’épreuve les anciennes amitiés. « Les relations entre les deux pays, entre l’Allemagne et l’Angleterre, conclut M. de Bethmann-Hollweg, ne pourront être en accord avec ce désir (le désir de vivre en paix) que dans la mesure où le gouvernement anglais sera prêt à