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peur. Apres cinq années de lutte devant toutes les juridictions, tant régulières qu’exceptionnelles, du royaume, elle reconquit son mari et sa fille, la belle et convoitée Pauline, et jusqu’à sa mort, survenue en 1807, elle ne cessa plus de garder un attachement exemplaire à ses devoirs les plus pénibles, les plus rebutans. Un témoin longtemps prévenu contre elle, le fils adoptif de Mirabeau, Lucas de Montigny, a dû convenir que « l’âge mûr de Mme de Cabris avait effacé les torts de sa jeunesse, » et qu’elle succomba bien avant la vieillesse, « épuisée par les soins pieux qu’elle prodiguait à la seule personne qui eût le droit de lui faire des reproches, à un époux devenu pauvre, infirme, et dont la démence longtemps paisible avait pris avec l’âge le caractère de l’aigreur, quelquefois de la fureur. »

Mme de Cabris ne se réconcilia jamais avec Mirabeau. Elle écrivait, en 1781, qu’il lui faisait l’effet d’un homme ivre qui ne sait pas rentrer chez lui. Depuis lors, rien ne put lui faire croire que c’était par la bonne porte et par l’escalier d’honneur qu’il s’était élevé au sommet de la gloire et de la puissance. Mais toujours fière du nom de Mirabeau, elle s’interdisait de l’avilir en précipitant le tribun, d’un mot comme elle seule pouvait le dire, de ces hauteurs surprenantes dans la fange de sa jeunesse. Elle l’abandonnait simplement à sa Némésis intérieure, qui ne manquait pas de le tourmenter quelquefois. « L’horrible dépôt » de ses impostures contre elle n’était-il pas toujours enfoui dans les bureaux de la police ? et ne l’avait-il pas grossi, durant son séjour à Vincennes, d’autres noirceurs non moins affreuses contre la Heine, Mme de Lamballe et quelques autres grandes dames ? Ce dossier pouvait sortir et s’étaler au jour d’un moment à l’autre… Quel sujet d’anxiété pour Mirabeau, quelle servitude ! Le gouvernement le tenait par là ; et l’on comprend mieux sans doute à présent les répugnances de Marie-Antoinette à confier à cet homme l’impossible salut de la maison de France !


DAUPHIN MEUNIER.