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eut à se défendre d’avoir compromis son indépendance ou sa dignité dans ces relations que Mme de Limaye aurait dû être fa dernière à lui reprocher, puisqu’elle l’avait mise dans le cas de les renouer. Une délicatesse si chatouilleuse n’était pas seulement inopportune ; elle manquait de générosité comme d’à-propos. Mme de Limaye l’aurait-elle eue pour elle-même, étant sous les verrous depuis trois ans comme Louise ? Celle-ci eut la bonté de ne pas le lui demander :


Je regretterai éternellement avec vous, lui répondit-elle le 18 mars, que mon affaire n’ait pu se finir entre vos mains et celles de notre commun et respectable ami M. de Caslillon [P. G. au Parlement d’Aix]. Mais ces regrets ne peuvent pas me conduire à me faire aucuns reproches à cet égard… Je ne pouvais obtenir de commissaires que de l’autorité. Ma famille avait intérêt et volonté de m’en refuser toujours. D’ailleurs, [l’essentiel jetait qu’il existât un rapport de mon affaire dans les bureaux ministériels ; cet objet est rempli. Voilà pour le fond. Personne ne sent mieux que moi combien la [forme (est devenue déplaisante dans ces derniers temps… La loi impérieuse de la nécessité et surtout l’approbation de M. de Castillon ont pu seules me déterminer à consentir celle qu’on a choisie. Rien ne pourra sans doute changer les sentimens repoussans que j’ai éprouvés au moment même de ce consentement. Quant au malheur de contracter une obligation envers une personne que vous méprisez, je ne le connaîtrai jamais. Cette personne travaillant à améliorer mon sort remplirait un devoir premier dont l’abandon suffirait pour déshonorer l’homme le plus intact. Dans les circonstances présentes, son intérêt, celui d’un protecteur [M. Lenoir] dont il sent plus que jamais le besoin, sont ses premiers moteurs ; et quand il dépend de moi de le replonger dans l’abîme dont il sort à peine, quand son sort est visiblement entre mes mains, je ne crois pas lui devoir beaucoup parce qu’il cherche à caresser la main qui le menace. Au reste, je ne l’ai point cherché, je l’ai fui aussi longtemps que je le pouvais sagement et décemment. Encore aujourd’hui, je lui refuse un encouragement de ma main… Vous connaissez l’homme, ma chère cousine, vous connaissez ses procédés à mon égard : je me flatte que vous connaissez aussi mon cœur également incapable d’une vengeance préméditée et de l’oubli de certains genres d’offenses. D’après ces connaissances, il est cruel à vous de me présenter comme l’obligée de la personne. J’espère que cet instant passé, nous resterons chacun à notre place, sans. que l’un ose faire un pas pour se rapprocher, ni l’autre se voie forcée à reculer. On a élevé une barrière insurmontable entre nous, mon père l’a posée, le public en a connu les motifs, une rétractation de la part de l’accusateur ne suffirait plus à l’honneur de l’accusée. On a pu me donner en spectacle, mais il dépend de moi de ne jamais jouer de rôle qui me rende vile à mes propres yeux et répréhensible à ceux de mes amis. On peut ajouter au droit que j’ai de me plaindre, il est impossible qu’on me donne des regrets quand j’ai suivi les conseils de la sage amitié. Cette vérité, bien établie, je puis attendre tranquillement.