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Mme de Limaye un coup de la Providence pour la débarrasser de Mme de Cabris dont la garde lui pesait, et elle porta plainte sur l’heure. Quand Louise vint la supplier de permettre à sa cousine de sortir sous des habits de femme qu’elle lui prêterait, les officiers de justice étaient attendus d’un instant à l’autre pour constater l’effraction et en prendre l’auteur comme sur le fait. Mais Louise, devinant l’abbesse, la déjoua. Elle fit évader Mme de Limaye par la sacristie et la chapelle, en forçant la grille du chœur. Les magistrats ne virent plus que des bris de clôture sans importance. La supérieure n’en exigea d’eux qu’avec plus d’instance une information, et force leur fut de l’ouvrir, bien qu’à contre-cœur, tandis que les ministres en étaient instruits par une autre plainte. Quel parti l’Ami des Hommes n’allait-il pas tirer de cet incident ? Comment y parer ? Louise, alarmée, se hâta d’envoyer une relation des faits à Briançon, afin qu’il se mît d’accord avec le lieutenant de police Lenoir pour étouffer cela.

A cette lecture, Briançon perdit tout sang-froid. Depuis la libération de Mirabeau qui était venu, le 19 décembre, prendre logis et pension à Paris chez son bon ange Bouclier, Briançon n’avait cherché qu’une occasion de saisir le comte à la gorge et de tirer de lui une explication de son imposture contre Louise. De son côté, Mirabeau s’évertuait à le faire chasser de Paris par la police, à lui faire interdire au moins, pour complaire à son père, toute correspondance avec Sisteron « sous peine de Bicêtre. » L’affaire de Mme de Limaye améliora comme par magie ces dispositions réciproques. Briançon donna rendez-vous à Mirabeau dans un café par un billet plutôt suppliant que menaçant ; et Mirabeau, sur le conseil de Boucher, s’y rendit avec le vif désir d’amadouer son ennemi. Leur situation à tous deux les prédisposait d’ailleurs à s’entendre.

Mirabeau revenait de Versailles, où son père l’avait envoyé pour contrecarrer l’activité des partisans de sa mère et de sa sœur, et sa mission avait échoué. M. de Maurepas l’avait averti « sur un certain ton » que le Roi en avait assez et voulait que liberté fût rendue a la marquise de Mirabeau aussitôt son procès commencé. D’autre part, l’avocat de la marquise annonçait l’intention de flétrir dans sa plaidoirie le pacte scandaleux qui obligeait Mirabeau, pour prix de sa rentrée en grâce chez son père, à solliciter partout contre sa mère et sa sœur, à se faire leur délateur et leur bourreau. L’avocat s’en tiendrait-il là ?…