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obtenu justice et liberté. On a craint qu’elle n’allât finir ses jours avec eux, qu’elle ne leur laissât son bien : c’est alors qu’on a juré d’anéantir l’existence civile du marquis de Cabris pour le double avantage d’arrêter ses poursuites en faveur de sa belle-mère et de tirer sa femme de sa puissance dans la persuasion qu’elle retomberait sous celle de son père, et qu’on pourrait la punir d’avoir osé secourir sa mère. C’est de là qu’on est parti pour répandre contre la marquise de Cabris les plus affreuses calomnies et que son père lui a imputé des atrocités dont il s’est cru en droit de demander justice aux ministres du Roi, abusés par l’auteur de ces calomnies et par des mémoires appuyés de la signature des parens surpris…

La marquise de Cabris a l’honneur de supplier les ministres du Roi de faire communiquer sa défense à M. son père, si on veut lui communiquer aussi les plaintes qu’il a portées. Elle certifie que le marquis de Mirabeau ne se montrera pas, qu’il esquivera par quelque tournure le jugement dont l’autorité serait forcée de le frapper, alors qu’elle reconnaîtrait qu’il l’a trompée pour servir sa vindicte particulière, etc.


La cause était donc gagnée ? Sans doute. Et pourtant, ce fut Mirabeau qui sortit de prison le premier, le 13 décembre 1780. Son élargissement était la récompense de sa parfaite soumission aux volontés de l’Ami des Hommes. Ainsi, le crédit de celui-ci semblait l’emporter encore une fois sur toutes les puissances contraires ; et les ennemis de Mme de Cabris pouvaient croire qu’elle finirait toujours « par retomber à plat sur le fumier de ses crimes, » selon la prédiction paternelle. Dans le vrai, Louise était redevable de cette déconvenue à la chute du ministre Sartine, qui avait un peu dérangé, sans le dissoudre, le petit tribunal chargé de la blanchir. D’autre part, le gouvernement avait arrêté en principe de ne remettre Mme de Cabris en liberté qu’après le jugement du procès en séparation de corps et de biens que sa mère soutenait de nouveau devant le parlement ; et le marquis de Mirabeau avait eu l’adresse de faire reporter à la Chandeleur ce procès inscrit d’abord au rôle de décembre. Grâce à cette remise, il avait gagné six mois de répit, et non pas deux seulement ; car de si grosses affaires n’étaient jamais jugées avant la Pentecôte. En carnaval et jusqu’au carême, les parlementaires ne réglaient que les broutilles ; ils « déblayaient. »

Dans cet intervalle, un incident fâcheux parut compromettre plus sérieusement la victoire de Mme de Cabris. Sa belle et intrépide cousine, la marquise de Limaye, qui travaillait sans relâche depuis trois années à la réconcilier avec son oncle et avec son père, avait ajouté foi entière à l’annonce, propagée par Louise elle-même, de la révocation de sa lettre de cachet pour