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écrit. Elle était forcée de s’en tenir à la réfutation des griefs avoués et consignés dans le mémoire qui la dénonçait aux ministres, mémoire qu’au surplus on ne lui communiquait même pas.

Lorsqu’elle fut lasse à son tour de ressasser en vain cette réfutation aux oreilles fermées des magistrats, du gouvernement et de sa parenté, Louise porta sa cause, en mars 1779, devant l’opinion publique, — « ce juge des juges, » disait Mirabeau. Elle rédigea un mémoire qui fut imprimé et distribué à profusion dans Paris. Il y fit sensation. De l’aveu du marquis de Mirabeau qui s’y connaissait, vogue pareille ne s’était pas vue depuis l’invention des pantins et des ramponneaux. Tous les oisifs de la capitale se jetèrent comme à la curée sur ce nouveau scandale Mirabeau. Des grandes dames de la Cour, de l’entourage même de la Reine, disaient qu’elles achèteraient fort cher l’honneur d’appartenir à Mme de Cabris pour avoir celui de se mêler de ses affaires. La puissante coterie des Noailles, qui jamais ne lâchait les siens, intéressait la maison royale en faveur de la touchante et fière captive de Sisteron. Enfin, de notables magistrats du parlement d’Aix, de ceux-là mêmes qui avaient approuvé ou confirmé la sentence d’interdiction de M. de Cabris (et notamment le procureur général Le Blanc de Castillon, la première autorité du pays après le premier président et intendant de Provence), s’indignaient hautement de ce que, sans attendre leur arrêt, et alors que Mme de Cabris était en instance devant eux pour la cause la plus honorable, on eût décerné et exécuté une lettre de cachet contre elle. Quant aux avocats signataires de ce mémoire irrésistible, gens réputés et honorés comme les premiers de leur ordre par la science et par les vertus, ils juraient de défendre leur cliente jusqu’à la mort. Ce gros tapage se soutint deux mois. Puis il s’apaisa, s’éteignit. L’été avait fait le vide à Paris et à Versailles. On y parlait d’autre chose. A la rentrée, tout était à recommencer sur nouveaux frais. Mais que tenter ? Aussi longtemps qu’elle n’aurait pas fait sortir de l’ombre l’imputation d’inceste qui déconsidérait par avance toutes ses démarches, Louise étoufferait elle-même dans cette ombre empoisonnée : tous ses amis s’accordaient à le lui prédire. Son silence affecté sur cet article équivalait à un aveu. Elle y persista néanmoins, mais elle essaya de s’en expliquer. Sur la fin de cette année 1779, elle fit courir de mains en mains un petit